Par Jawhar CHATTY On n'a ni l'éloge facile ni l'habitude de dresser des profils flatteurs, encore moins sur ces mêmes colonnes. On ne sait d'ailleurs pas le faire. Et au cas où certains seraient tentés de voir dans ce papier autre chose que la première expression d'une gêne ressentie et d'une grande désolation à la vue de l'échange télévisuel entre un ministre et un artiste au sujet de la liberté d'expression, il serait, dans ce cas, à désespérer et de cette même liberté et de tous ceux qui la défendent et défendent la liberté de la création artistique. Dimanche soir, sur Hannibal TV, une émission de grande écoute est consacrée au sujet de la liberté d'expression. Au nombre des invités, un ministre et un artiste. L'artiste prend la parole : 2,60 minutes chronomètre en main. Il tourne en rond, s'excite et dérape. En face, le ministre prend son mal en patience. Les autres invités paraissent tout autant gênés que lui par cet artiste qui n'arrive non seulement pas à structurer sa pensée et ses propos autour d'une idée simple et claire, mais qui prend ses aises avec un certain langage de caniveau. Le ministre ne l'interrompt pas. Cependant, bien plus que de l'exaspération, l'amertume et le dépit étaient visibles sur son visage. On lui donne enfin la parole. Il dit alors des choses simples mais essentielles : la liberté d'expression et la liberté tout court, ont pour corollaire la responsabilité. Il dit aussi que l'on reconnaît le véritable courage et audace des pamphlétaires, journalistes et artistes, à l'intelligence et à la finesse de leurs œuvres et propos, encore loin d'avoir acquis les premières règles qui président aux débats. Bien loin des entreprises des commérages de petits commerces et bien loin de la vulgarité et de l'indécence qui peuvent choquer la plus grande majorité des citoyens récepteurs. Le ministre dit aussi ne point être dupe au sujet de la liste noire des journalistes: « les farouches demandeurs de cette liste sont les premiers à figurer sur cette liste». Cela étant dit, il quitte le plateau télé pour dire toute son indignation face à une certaine image que peut oser donner un artiste de lui-même et de tous ceux qu'il est censé représenter... Voilà pour les faits, venons-en au fond. D'abord, deux observations : 1. Il est tout de même désolant de constater que le paysage médiatique national soit encore au mieux dans un certain état de « suspension » et d'équilibrisme stationnaire qui l'empêche d'évoluer positivement et, au pire, dans une certaine anarchie libératrice et irresponsable qui risque à la longue d'être liberticide. C'est ainsi que, à titre indicatif, les « confrontations » entre les invités au débat sont encore soit surfaites soit politiquement orientées. Les règles de préséance sont négligées. Le rôle de modérateur et de régulateur qu'est censé jouer pleinement l'«animateur» du débat est très souvent secondaire. 2. En dehors des émissions de variétés et des pages autres que politiques d'un journal, la présence, côte à côte ou face à face, d'un artiste et d'un ministre est en soi une manifestation d'ordre et à portée politique. Elle est à elle seule une preuve de liberté, d'une liberté d'expression, même relative. Il y a enfin et au fond fort à parier que de cet échange entre un artiste et un ministre, les Tunisiens n'aient retenu qu'un seul message, le seul qui vaille du reste : la liberté, c'est le respect responsable d'une certaine rigueur en toute chose. A la légèreté de l'artiste et au creux de son propos, avait ce soir-là, sereinement répondu un ministre. Une réponse et une attitude qu'avaient sans doute à cœur d'entendre et de voir observer beaucoup de citoyens nonobstant leurs appartenances politiques.