Par Zouhair EL KADHI (économiste) La préparation du budget de l'Etat est un des moments majeurs de la vie politique, parce qu'il traduit les priorités de l'action gouvernementale et parce qu'il est un des outils majeurs de la politique économique. Cette loi de finances est une nouvelle chance pour ce gouvernement et celui-ci doit prouver sa compétence avec des marges de manœuvre extrêmement limitées. Aujourd'hui, si, du côté monétaire, les marges sont épuisées ou presque, la politique budgétaire doit prendre le relais pour sortir la Tunisie du marasme économique. En effet, l'économie tunisienne n'est toujours pas sortie de la zone de turbulence avec une inflation à des niveaux historiquement élevés, des réserves en devises en baisse et des déficits courant et budgétaire en dégradation. Tout indique donc que la reprise n'est pas garantie et ce n'est guère le moment de se tromper de politique économique. Rappelons que le budget de l'Etat est calibré sur une prévision de croissance économique de 4,5 % en 2013 et nous ne sommes pas sur cette trajectoire. A ce rythme de croissance, le projet de budget de l'Etat pour l'année 2013 est évalué à 26.342 millions de dinars. Il est marqué par un déficit budgétaire de près de 4.657 millions de dinars, soit l'équivalent de 5,9% du PIB. D'une manière assez générale, le projet de la nouvelle loi de finances ne semble indiquer aucune orientation économique. Le seul et unique objectif affiché est d'abaisser le déficit budgétaire de 6,6% prévu pour 2012 à 5,9% en 2013 sans aucune orientation en faveur de la reprise, d'où le sentiment que cette loi de finances résulte plus d'un compromis entre des contraintes que d'un choix traduisant une orientation claire. A vrai dire, réduire le déficit n'est pas vraiment un impératif dans la mesure où l'appui budgétaire à l'économie demeure déterminant. Dans un contexte de croissance fragile, la rigueur annoncée deviendra une rigueur à perpétuité avec un cercle vicieux : austérité, dépression, croissance du déficit et donc encore plus d'austérité. Il faut au contraire laisser jouer les stabilisateurs automatiques et accepter le déficit en attendant le retour de la croissance. Bref, et même si le gouvernement a fait le choix de la rigueur, la façon d'y parvenir traduit bel et bien des choix qu'il n'est pas moins important de souligner, que ce soit du côté des recettes que de celui des dépenses. Du côté des recettes, alors qu'on s'attendait à une véritable réforme fiscale réfléchie, nécessaire à bien des égards, le projet de la nouvelle loi de finances nous propose des replâtrages de quelques taxes et impôts. Pis encore, sous le principe de solidarité, le projet de loi de finances propose de piocher davantage dans la poche des salariés, notamment de la classe moyenne. Au lieu de réviser le régime forfaitaire, les transferts et les subventions, l'impôt sur le revenu, etc., le projet de loi de finances 2013 prévoit une augmentation des taxes de consommation sur les alcools, une hausse du timbre fiscal de voyage, une augmentation de la vignette relative à la circulation des véhicules, etc. Au final, ce durcissement fiscal risque de tuer la reprise dans la mesure où l'effet d'éviction sur l'investissement et la consommation pourrait devenir évident. D'ailleurs, la pression fiscale devrait rester élevée autour de 21,3% contre 20% en 2010. Du côté des dépenses, les choses sont beaucoup plus inquiétantes. Inquiétantes dans la mesure où les dépenses de développement sont en baisse alors que les dépenses courantes sont en hausse. Cela va à l'encontre des règles budgétaires qui plaident pour une hausse des dépenses de développement et une baisse des dépenses courantes, souvent considérées comme dépenses passives. De plus, une baisse des dépenses de développement aura des conséquences non négligeables, eu égard aux revendications des régions de l'intérieur en matière de développement. Une telle répartition des dépenses fait dire que les défis de la révolution sont très vite passés aux oubliettes. Au final, on se retrouve devant une loi de finances complémentaire classique et on classera 2013 avec 2011 et 2012 dans le chapitre des années perdues. Les priorités soulignées n'ont rien de bien surprenant : ces différents postes de dépenses s'accroissent déjà depuis plusieurs années. Les priorités budgétaires affichées ne paraissent guère favorables à la croissance et au développement. Si la croissance ne repart pas, il n'est pas certain que, demain, l'équation ne devienne encore plus complexe. Dans ce cas, les baisses automatiques des recettes et les hausses non moins automatiques des dépenses peuvent faire exploser le déficit.