Elle est aujourd'hui à Tunis, pour présenter son livre sur Wassila Bourguiba. Livre dont la parution a surpris tout le monde, car si l'on connaissait l'amitié qui liait la première dame de Tunisie de l'époque à Jacqueline qui s'appelait alors Daoud, personne ne connaissait l'existence de ces entretiens, ni de ce projet. Quatre-vingt-douze ans, qu'elle annonce avec coquetterie, bon pied bon œil, sereine et détendue au milieu de ses livres, dans cette bibliothèque entre ciel et mer qu'elle a construit avec Lorand Gaspar au- dessus de sa maison de Gammarth, elle se souvient de ses rencontres, et de ses entretiens, mais aussi de son parcours. Vous n'aviez pas écrit depuis longtemps... Disons que je n'avais pas publié. J'avais commencé par un recueil de poèmes publié à Tunis. Puis, j'ai consacré un livre à mon frère, le célèbre danseur Jean Babylée, « La danse buissonnière ». Par la suite, j'ai écrit « La Cannibale », édité chez Flammarion, ouvrage très autobiographique. Et puis, j'ai énormément écrit avec Lorand Gaspar qui traduisait de nombreux ouvrages de l'anglais, du grec, du hongrois. Lui connaissait les langues, moi, je réécrivais avec lui le français. Ecrire, pour moi, me prend comme une crise d'urticaire. Il faut qu'un projet me passionne, et là, je n'arrête pas. Vous avez tout de même mis quarante ans à publier ces entretiens avec Wassila Bourguiba... Nous étions très amies, et j'allais la voir souvent. Et ce qu'elle me racontait était si intéressant et si sympathique que je me suis dit : «pourquoi ne pas enregistrer, pour un jour peut-être....». Bien sûr, il n'était pas question de publier quoi que ce soit de son vivant. J'ai donc tapé ces entretiens sur ma petite machine, et je les ai mis dans un tiroir. Jusqu'au jour où, parce que c'était un ami plus qu'un éditeur, ma fille Sophie qui m'a aidée pour ce livre, les a montrés à Moncef Guellaty. Il s'est emballé, a voulu les publier, je n'ai pas voulu, il m'a convaincue, et nous voilà au travail. Une question tout de même : pourquoi vous être cantonnée à ces deux seules années 1972- 1973 ? En réalité, je ne sais plus trop pourquoi nous nous sommes arrêtées. Peut-être parce que cela ne pouvait continuer indéfiniment. Peut-être parce que c'était une époque difficile et chargée pour elle. Peut-être aussi, suis-je partie à ce moment-là. Sait-on jamais comment les choses se font et se défont... Ce qui est touchant, dans ce livre, c'est que l'on croit entendre la voix de Wassila Bourguiba, ses expressions, son parler. Vous ne l'avez pas réécrit... J'aime énormément retrouver la musique d'une langue étrangère en français. Je trouve à cela un charme fou. Et la langue de Wassila me plaît beaucoup. J'ai pratiquement tout laissé. J'ai juste essayé de mettre un peu de chronologie dans tout cela, et encore, pas toujours. Et bien sûr, de supprimer les répétitions. J'espère que le lecteur ressentira cela. Alors, on peut aimer ou détester Wassila Bourguiba, moi, j'ai aimé cette parole d'une femme libre. Peut-être qu'elle ne m'a pas tout dit, mais tout ce qu'elle m'a dit était vrai. Que diriez-vous d'elle, vous personnellement, aujourd'hui ? Je dirais que c'était une amie formidable. Je dirais aussi qu'il n'y a pas d'autre exemple, à ma connaissance, d'une première dame ayant accepté de parler ainsi à cœur ouvert, sans souci de son image. Il est vrai qu'il régnait entre nous une confiance totale, que je ne faisais pas partie du sérail, et qu'elle me savait totalement indépendante. Peut-être n'aurait-elle pas pu le faire de la même manière avec quelqu'un d'autre. Avez-vous des projets d'écriture ? Je souhaiterais d'abord que ce livre soit diffusé en France, je suis sûre qu'il intéresserait. Et puis, je caresse un vieux projet : faire, moi aussi, un livre d'entretiens sur ma vie et mon parcours. Le tout étant de trouver avec qui. Peut-être avec ma fille Sophie, qui m'a beaucoup aidée pour cet ouvrage. Il faudrait réussir à trouver la distance nécessaire.