On navigue dans le brouillard : c'est l'impression de beaucoup au sujet des activités de l'Assemblée constituante. Justifiée, injustifiée, cette impression ? Difficile de le dire. Karima Souid, chargée de la communication au sein de l'ANC, rappelle que du travail a été abattu depuis que les députés ont commencé effectivement leur mission. Ce qui, rappelle-t-elle, nous fait remonter à la mi-février de cette année, si on compte tout le temps passé au début à débattre de questions préliminaires, notamment sur la constitution intérieure... Mais comment éviter cette impression quand on ne dispose d'aucune feuille de route claire, d'aucun échéancier qui indique, l'une après l'autre, les étapes qui vont permettre de sortir de cette phase de transition... La responsable l'admet elle-même : «J'ai demandé au départ qu'il y ait un rétroplanning et que, à chaque fois qu'un délai n'est pas respecté, cela soit expliqué, mais les choses ont pris un autre cours !» Et puis il y a eu le «buzz», ces tout derniers jours : l'épisode épinglé par l'association Al Bawsala au cours duquel les débats à l'ANC ont été empêchés en raison d'un quorum non atteint. On est en plein débat sur la tant attendue loi organique relative à la nouvelle instance indépendante des élections... Il y a 37 articles à passer au vote. Le rythme est lent et voilà que le problème des absences devient carrément un motif de blocage des discussions... La séance est levée ! L'association, qui surveille ce problème, saisit l'occasion pour alerter l'opinion : elle révèle les retards qui font régulièrement reculer l'entame des travaux, les nombreuses absences sur les bancs de l'Assemblée, elle donne des chiffres et désigne les partis... Une opération d'autant plus à saluer qu'elle souligne dans le même temps l'obligation du député, à la fois en vertu de son salaire — 13 fois le Smig — et en vertu de son mandat reçu des citoyens. Il y a, confie Slim Kharrat, un noyau dur de 10 % de députés qui sont régulièrement absents. A quoi s'ajoutent 20 % d'autres absences... Il appelle à ce que le règlement intérieur soit appliqué et que les députés ne soient pas payés pour les journées où ils ne sont pas présents. C'est vrai, comme le soutiennent certains députés, la question du rendement de l'ANC n'est pas nécessairement à appréhender en termes de présence ou d'absence sur les bancs. Mais c'est quand même un facteur de ralentissement et de démobilisation, comme on l'a vu... Mme Souid, par ailleurs députée d'Ettakatol pour la circonscription France 2, parle de «rythme méditerranéen». Elle considère que les dispositions existantes au niveau du règlement intérieur ne sont pas assez dissuasives et indique que des modifications sont en cours : «La commission du règlement intérieur s'est réunie et un rapport est parvenu !» Cela suffira-t-il pour relancer la dynamique ? Pas si sûr, quand le mauvais pli est pris. Car le problème des retards et des absences s'est doublé d'un problème de transparence... L'Association Al Bawsala a fait savoir que c'est seulement grâce à ses propres initiatives que les PV des réunions des commissions sont publiés. Le site internet de l'ANC ne les publie pas. Mme Souid évoque un manque de moyens et le retard pris dans la mise en place d'un plan de communication censé bénéficier d'une aide du Pnud... A terme, on devrait avoir un système de vote électronique. Entre temps, il y a comme une érosion de la relation de sympathie entre le citoyen et son député, dont le comportement risque d'être assimilé de plus en plus à celui d'un fonctionnaire... d'un fonctionnaire jaloux de ses secrets et de ses privilèges ! On n'est donc pas prêt de sortir du flou. Dans l'immédiat, on sait que l'ANC doit en finir avec la loi sur l'Isie. Puis il y aura la loi de finances... Après quoi, les députés seront invités à parcourir les régions pour présenter à la société civile le projet de la Constitution. Mais il y a aussi la loi sur la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle, qui est une urgence et qui engagera une rediscussion du décret-loi 116... Mme Karima Souid souligne à juste titre que le député, élu pour élaborer la Constitution, se retrouve en position de s'acquitter de toutes sortes de tâches : contrôler l'action gouvernementale, discuter des projets de loi, trancher des «questions existentielles» comme celles qui concernent la charia ou le rapport homme-femme... Et que cette accumulation de tâches représente un facteur de désorganisation dans le fonctionnement de l'Assemblée. Mais il n'est pas certain que cette situation empêche la mise en place d'un planning qui redonnerait au citoyen une meilleure visibilité et, aussi, la possibilité, d'abord de se réconcilier avec l'ambiance de la Constituante et ensuite de se passionner pour ce qui s'y accomplit... Car on est loin du compte aujourd'hui !