Par Abdelhamid GMATI La caractéristique principale de notre Assemblée nationale constituante (ANC) semble être...l'absentéisme. Mardi dernier, la séance plénière qui devait se tenir à 9h et avait pour objet la poursuite de l'examen du projet de loi organique relatif à l'Instance supérieure indépendante pour les élections a été retardée, faute de quorum, seulement 92 élus étant présents. Cela s'est déjà produit deux fois la semaine dernière. La séance a commencé une heure plus tard avec 135 députés. L'Association Al Bawsala qui s'est fixée comme tâche de suivre les travaux de l'Assemblée, a relevé qu'en général 30% des députés sont souvent absents. La présidente de cette association précise que «les présences dans les séances plénières n'ont jamais dépassé les 70%». Même le président de l'ANC se fait souvent désirer. Qui s'absente ? On relève que les élus du mouvement Ennahdha sont les plus assidus ; viennent ensuite les indépendants et les opposants ; ceux du CPR ne sont là qu'à 50% alors que les membres d'Ettakatol pratiquent le plus l'absentéisme. Les observateurs relèvent aussi que chaque député coûte au pays 164 DT par jour. On a déjà noté une autre pratique : le vote de certains députés absents est quand même enregistré. Cela a été le cas encore récemment. Al Bawsala a publié les détails des votes sur l'amendement concernant la parité dans la composition des membres de la future Isie. Une députée a voté trois fois. Interrogée, elle confirme : «J'ai voté à la place de mes deux voisins, à leur demande et ils n'ont pas voté là où ils étaient». Rappelons à ce sujet l'article 94 du Règlement intérieur de l'ANC, qui stipule : «Le vote est personnel et ne peut être exercé par mandat ou par correspondance». Quoi qu'il en soit, cet absentéisme est condamnable. Les députés ont été élus non pas pour cueillir des pâquerettes, vaquer à leurs affaires personnelles, visiter la prison de Mornaguia, perdre leur temps à s'occuper de sujets qui ne sont pas de leur ressort, mais uniquement pour rédiger une Constitution, comme l'indique clairement la dénomination de cette Assemblée. Même le Premier ministre, M. Hamadi Jebali, a exprimé son mécontentement, dans une interview à l'agence de presse Reuters ; il s'est dit «inquiet de l'extrême lenteur qui entache l'élaboration de la Constitution. A ce rythme, les choses peuvent traîner encore deux ans et la responsabilité en incombe aussi bien à la majorité qu'à l'opposition». Lors du premier anniversaire des élections, du 23 octobre il avait déjà marqué ses préoccupations à cet égard et avait dit sa détermination de pousser les élus à faire vite. De fait, juste avant cette date du 23 octobre, la Troïka au pouvoir avait produit une feuille de route fixant les dates de présentation de la Loi fondamentale et des élections législatives et présidentielles. Et pendant deux jours, les députés ont débattu du préambule de la Constitution et avaient assuré qu'un consensus était établi concernant le futur régime politique. De fait, il n'en est rien puisqu'il s'est avéré qu'Ennahdha tient toujours à son régime parlementaire. Puis on s'est occupé du projet concernant l'Isie. Et là aussi on avance à petits pas, pour ne pas dire à reculons. Alors qu'on pensait (ce qui a été dit) que la Troïka s'était entendue sur le candidat à la présidence de cette instance, une «fuite» est venue détourner l'attention, tentant de jeter le discrédit sur ce candidat, l'ex-président de l'ancienne Isie. Les occasions ne manquent pas pour détourner l'attention de l'opinion publique des questions fondamentales, et mettre en exergue des sujets moins urgents. Une fois c'est la lutte contre la pauvreté ; une autre fois c'est au sort des victimes de la torture sous la dictature ; une autre fois, on se rappelle des prisonniers palestiniens sans même que l'ambassadeur de Palestine en soit informé ; puis on revient sur les indemnisations des nahdhaouis emprisonnés par le régime de Ben Ali, en occultant qu'ils ont été condamnés pour des actes terroristes et non comme opposants politiques ; et on a droit à une conférence internationale sur la citoyenneté et les minorités dans le monde musulman, etc. On se rappelle tous ce jeu de cartes pratiqué, il n'y a pas très longtemps, dans la rue en Tunisie et ailleurs (une arnaque de rue, une escroquerie) : il s'agissait de miser de l'argent et d'identifier la carte rouge (généralement la dame de cœur) parmi trois cartes, les deux autres étant noires. Ce jeu appelé «Tour du Bonneteau» («Hamra - Kahla» chez nous) est, semble-t-il, à l'ordre du jour : essayons de deviner où se trouve la Constitution. Un joli tour de magie.