On savait que Feryel Ben Mahmoud s'intéressait à l'histoire proche : celle de la Tunisie, certes, mais aussi celle de l'Orient. Ses précédents ouvrages, sur le Bat d'Af, ces fameux bataillons à la réputation sulfureuse, puis sur les voyageurs qui ont précédé et ouvert la voie aux touristes, tout cela dénotait une curiosité d'un passé proche, dont les échos ne se sont pas encore dissipés. C'est un très bel ouvrage qu'elle signe cette fois-ci avec Michèle Brun comme co-auteur : Tunisie, un siècle d'images. Et qu'elles présentent : «Un siècle d'histoire, un siècle d'images : de la proclamation du Pacte Fondamental en 1857, qui annonce la Constitution tunisienne, à l'indépendance du pays en 1956. Un siècle marqué par la colonisation, mais qui ne s'y résume pas. Car l'affirmation politique et identitaire d'une “tunisianité" la précède et la concurrence». La «tunisianité», nous y voilà, et voilà ce qui, en fait, pourrait être le fil conducteur de ce livre intelligent, sensible, tout en subtilités. «La tunisianité, c'est aussi la conscience d'appartenir à un petit pays qui a décisivement marqué de son empreinte tant l'histoire occidentale que celle du monde arabe. Terre de rencontres et de paradoxes, la Tunisie semble s'être construite depuis l'Antiquité autour d'une double aspiration : l'affirmation farouche de son indépendance et de sa singularité, d'une part, et la recherche constante d'un échange et d'une ouverture vers les autres rives de la Méditerranée, d'autre part». Cette tunisianité ainsi définie se décline dans le livre à travers une terre et des hommes, les monothéismes, les rites et les fêtes, Tunis, la mer, le monde des campagnes et les franges du désert. Tous les aspects de cette tunisianité sont illustrés par une remarquable iconographie qui a demandé, à elle seule, de véritables enquêtes policières : gravures, photographies, peintures, dessins, affiches, cartes postales, souvent inédites, appuient les textes et racontent cette histoire. Le plus émouvant est que Feryel Ben Mahmoud a souvent été puiser dans les collections familiales, écumant les albums photos de ses proches et de ses amis, photos d'amateurs, archives privées qui racontent une autre Tunisie : «Celle d'une élite qui, malgré la colonisation, continue, dans la représentation de sa vie quotidienne à affirmer son identité, à cultiver sa différence. Et qui contribua à inventer une certaine modernité arabe, faite de luttes et de résistance, mais aussi d'un esprit d'ouverture et d'une capacité à faire dialoguer entre eux les peuples et les cultures».