Faut-il en rire, faut-il en pleurer ? Encore une fois, les médias tunisiens se retrouvent dans le collimateur des plus hauts responsables. La Révolution commémore son deuxième anniversaire. N'empêche, les mentalités réfractaires font du surplace. C'est M. Hamadi Jebali, chef du gouvernement, qui monte au créneau cette fois. Encore une fois. Dans une interview accordée au journal saoudien Asharq Alawsat, il s'en prend au journal La Presse. Notre journal est coupable, à ses yeux, d'avoir comparé des montagnes tunisiennes à celles de Tora Bora. On lui a peut-être mal traduit l'article. L'erreur est humaine, nous en convenons. Mais l'ignorance, des faits en l'occurrence, n'est pas un argument. L'article en question est précisément intitulé «De Tora-Bora à Chaâmbi». Il parle de jihadistes en rupture de ban qui ont migré des régions de Tora Bora vers quelques montagnes tunisiennes. Le ministère de l'Intérieur en a parlé lui aussi. Et à maintes reprises. Aux yeux du chef du gouvernement, il s'agit «des propos de l'insensé». On ne voit guère le lien. Et encore moins le lien de cause à effet. Mais ce n'est pas tout. M. Jebali affirme que le journal La Presse ne trouvera plus l'argent pour imprimer ses exemplaires, ni des acheteurs, et sera empêché de parution. On est sidéré par les propos du chef du gouvernement. Encore une fois, les médias sont le bouc émissaire idéal. Que les groupuscules jihadistes d'Al Qaïda investissent nos murs, c'est le gouvernement qui ne cesse de le réitérer. Ce n'est point une fiction. Encore moins une invention de nos journalistes. M. Jebali en a traité il y a deux jours avec ses homologues libyen et algérien au sommet de Ghadamès, en Libye. Leur déclaration commune à l'issue du sommet aborde notamment les défis sécuritaires dans la région et les manœuvres des groupes terroristes ainsi que les réseaux de trafic d'armes. Que la situation soit peu reluisante deux années après la Révolution, tout le monde en convient. Les médias n'en sont guère responsables. Mais il y a la tentation manifeste de leur faire endosser la responsabilité de l'état des faits. Ils les reflètent certes, mais ils ne les créent pas. Les tares sont dans le vécu, non dans le miroir. Elémentaire, mon cher Watson. Et puis le journal La Presse vit de ses propres ressources. Cela a toujours été le cas. Grâce notamment à ses forts tirages, son fidèle lectorat et ses recettes publicitaires. Mieux, il contribue à renflouer les caisses de l'Etat. Sérieusement. Fin décembre, nos services financiers ont ainsi déboursé huit cent cinquante mille dinars à la Cnss et trois cent mille dinars au fisc, au titre du dernier trimestre 2012. Le journal La Presse honore également son positionnement en sa qualité de média public avec une vocation manifeste de service public. Par-delà les partis, les chapelles, les idéologies et les partis pris aveugles ou tranchés. Son unique parti pris, sa seule idéologie, c'est la Tunisie, son inviolabilité, ses intérêts supérieurs. Il se veut et s'investit comme tel : un journal de référence, de qualité, de proximité. La liberté de la presse à laquelle nous nous attachons particulièrement instruit que, dans tous les cas de figure, les faits sont sacrés et le commentaire est libre. Visiblement, M. Hamadi Jebali était mal inspiré concernant La Presse. Nous ne saurions lui en vouloir outre mesure, au vu de ses responsabilités et de la masse considérable de promesses et engagements qu'il est tenu d'honorer. Bon vent M. le chef du gouvernement. Nous gardons, malgré tout, le cap de la bonne espérance. En toute liberté.