Ils sont américains, australiens, jamaïcains, français, allemands, belges... Nés de parents chrétiens, juifs ou athées... Fraîchement convertis à l'islam le plus rigoriste par des imams extrémistes, ils ont gagné les camps d'entraînement de Bosnie et d'Afghanistan, où ils ont acquis une solide formation militaire, avant de devenir des «petits soldats du jihad» contre l'Occident mécréant. Certains sont morts dans les montagnes de Tora Bora ou en Irak. D'autres ont été arrêtés dans le cadre de la campagne internationale de lutte contre le terrorisme, jugés et écroués. Leurs parcours, qui se ressemblent en plusieurs points, peuvent être résumés en deux formules: quête désespérée de soi et folie destructrice. Dans ce sixième article de la série, nous présentons Hervé-Djamel Loiseau, «le premier français martyr du jihad afghan», mort en décembre 2001, quelque part dans les montagnes afghanes. Il fuyait les bombardements américains...
Le 12 décembre 2000, Hervé-Djamel Loiseau ne se présente pas au box des accusés du tribunal correctionnel de Paris qui rendait son jugement dans l'affaire dite «des islamistes du Mondial», arrêtés en mai 1998 dans un vaste coup de filet européen quelques mois avant l'ouverture de la Coupe du monde de football. A 27 ans, celui qui aime qu'on l'appelle de son prénom arabe Djamel n'a donc pas pu entendre sa condamnation à un an de prison dont huit mois avec sursis pour «association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste». En ce 12 décembre 2000, Hervé-Djamel se trouve quelque part entre le Pakistan et l'Afghanistan, et s'entraîne, depuis près de neuf mois, dans les camps d'Al-Qaïda. Son corps gelé sera retrouvé, le 18 décembre 2001, près de Parachinar, dans les montagnes de Tora Bora, très loin de sa France natale. Mort en tentant de fuir les bombardements américains des camps des taliban, des villageois afghans ont enterré sa dépouille sous quelques pierres, le 24 décembre. Dans les poches de sa parka, ils avaient trouvé ses papiers d'identité français, un Coran, une poignée de roupies, un billet d'avion et deux comprimés d'Efferalgan. Les spécialistes français de l'antiterrorisme ont longuement planché sur le cas de ce titi parisien devenu «petit soldat du jihad». Comment sa redécouverte d'une identité islamique perdue - Hervé-Djamel peut être considéré en effet comme un «converti», puisque l'islam de son père absent a peu marqué son enfance - a-t-elle débouché, chez lui, sur un engagement dans la guerre sainte contre l'Occident ?
Une enfance banale à Belleville
Né à Paris, le 21 mars 1973, dans le quartier populaire de Belleville, d'un père Kabyle non pratiquant, Saïd Belhadj, et d'une mère Française catholique Chantal Loiseau, Hervé-Djamel, subit son premier choc affectif à l'âge de cinq ans, lorsque ses parents divorcent. Son enfance et son adolescence se passent néanmoins sans problème. Mais, la vingtaine passée, le jeune homme timide et sans histoire sent le besoin de mieux connaître l'islam, religion de son père absent, et dont il ignore tout. Pour combler cette lacune, il s'adresse à des activistes du Tabligh. Ce mouvement islamiste né en Inde en 1927, apparaît en France en 1968 et est enregistré en 1972 sous la dénomination d'«Association foi et pratique». Considéré comme un mouvement religieux légal, les services de renseignement français ne lui connaissent pas de liens avec la nébuleuse terroriste islamiste. Mais, malgré son apparence piétiste, Le Tabligh sert souvent de passerelle vers des courants plus franchement jihadistes.
Des cercles du Tabligh aux camps d'Al-Qaida
Le conditionnement du jeune homme commence donc dans les mosquées parisiennes. Pendant son service militaire, effectué à Colmar d'août 1995 à mai 1996, Hervé-Djamel fréquente la mosquée Tabligh locale. L'expérience militaire ne suffit pas cependant à enrayer sa dérive extrémiste. Car, entre-temps, il est pris en main par trois hommes: Mohamed Karimi, un salafiste marocain, qui sera expulsé vers son pays, Karim Bourti, d'origine algérienne, qui initiait les nouvelles recrues au wahhabisme et, surtout, Omar Saïki, l'un des lieutenants en France du leader du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) algérien. Ce dernier va d'ailleurs jouer un rôle majeur dans son enrôlement. Arrêté le 26 mai 1998 en Allemagne et extradé en octobre vers la France, il sera condamné à 4 ans de prison le 12 décembre 2000. A son retour de son service militaire, Hervé-Djamel épouse une ligne encore plus radicale. Entre 1996 et 1998, il est soumis à un véritable lavage de cerveau dans les mosquées Omar et Abou Bakr de Belleville. Objectif de ses mentors: le convaincre de partir vers les camps d'Al-Qaida dans les montagnes afghanes. Pour ne pas paraître complètement ignorant de la religion qu'il est censé défendre, Hervé-Djamel doit être doté d'une formation religieuse et idéologique «adéquate». C'est ainsi qu'il effectue, entre avril et mai 1998, un séjour à La Mecque en compagnie d'Omar Saïki. Les deux hommes sont hébergés par le cheikh Salman al-Awdah, un idéologue proche d'Oussama Ben Laden, et maître à penser des quinze Saoudiens kamikazes du 11 septembre 2001. Hervé-Djamel, qui a fini par se faire repérer des services français, est cependant arrêté, à son retour d'Arabie saoudite, le 26 mai 1998, dans un appartement de Noisy-le-Sec, dans la banlieue parisienne, lors de la vague d'arrestations dans les milieux islamistes affiliés au réseau GSPC en Europe. Remis ensuite en liberté provisoire, le 8 septembre 1998, et placé sous contrôle judiciaire, le jeune homme quitte la France pour Londres début 2000. Le 11 mars, il s'envole pour Lahore. Le 12 décembre, il ne se présente donc pas à son procès. Un an plus tard, il sera le premier Français martyr du jihad afghan...
Demain 7 - David Courtailler : de la Haute-Savoie aux hauteurs de Tora Borah