Wahid Ferchichi, coordinateur du Centre international de justice transitionnelle Ictj à Tunis, positive : «Le projet de loi portant création de l'Instance vérité et dignité marque enfin le début d'un processus intégral et intégré de justice transitionnelle.» Annoncé il y a un an à l'article 23 de la petite Constitution, le projet de loi sur la JT est le fruit du travail d'un comité technique rattaché au ministère des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle et d'un mois de dialogue national dans les régions (avril 2012), piloté par ce même comité. Avec une composition où se côtoient représentants de la société civile et fonctionnaires du ministère, le comité a puisé dans cinq propositions de loi fournies par le parti Al Joumhouri, la coordination de l'Icjt, le conseil de l'Ordre des avocats, l'Association des libertés individuelles, le réseau national des associations de justice transitionnelle proche du parti Ennahdha. Le texte qui sera prochainement soumis à la commission des législations générales de l'ANC, compte 75 articles et porte création d'une «Instance vérité et dignité». Structure indépendante à laquelle il reviendra de gérer l'ensemble du processus dans un champ temporel compris entre 1955 et l'entrée en vigueur de la loi. Pour Wahid Ferchichi, les points forts du projet c'est qu'il n'est pas parti d'une page vide, qu'il fait référence à l'universalité des droits de l'homme, à la spécificité des catégories vulnérables tels les femmes, les enfants, les personnes handicapées. Il crée une «Commission d'arbitrage et de réconciliation » qui pourrait, selon les cas, se substituer aux tribunaux ou les accompagner. Autre motif de satisfaction de l'expert, le texte n'exonère pas les groupes terroristes qui ont commis des violences à l'intérieur du pays, du champ des responsabilités... Mais qu'en fera l'ANC ? S'interroge l'expert qui craint que le texte ne soit confronté à la dure réalité politique et juridique. «C'est, par définition, une loi d'exception. Une sorte de greffe qui risque d'être rejetée par le corps de la justice habituelle. Tout dépendra de son rapport avec l'appareil judiciaire, de la délimitation de son champ d'action, la gestion future du dossier des archives et du droit d'accès aux données...» 50 à 70% des archives disparaissent en moyenne dans les cours houleux des révolutions, apprend-on des expériences comparées de justice transitionnelle. Qu'en est-il des nôtres ? C'est le contenu même du projet de loi qui préoccupe Houda Chérif. La militante du parti Al Joumhouri initiatrice de la proposition de loi de son parti épluche les articles : Article 23 : est-il sage de priver de candidature tous ceux qui ont exercé une responsabilité gouvernementale ou partisane depuis l'indépendance à ce jour ? Article 24 : Pourquoi accorder à l'ANC la latitude de « choisir » parmi les candidatures en dehors de tout critère objectif ? Article 48 : l'instance pourra-t-elle être indépendante avec un budget qui puise dans les subventions de l'Etat et les dons des particuliers ?... Plongée des mois durant dans les expériences comparées, Houda Chérif insiste sur la spécificité tunisienne «On devrait nous engager au plus vite sur la voie de la réhabilitation des victimes et la réconciliation. La finalité ce n'est pas l'indemnisation, mais la réconciliation. Pour cela il faut que les gens sortent de leur silence et témoignent publiquement... Pourquoi pas à la télé avec des tranches quotidiennes d'un quart d'heure ?» A propos de spécificité, comment rendre justice à des régions et des franges entières de populations qui, à côté des violations des droits de l'Homme, connurent les plus graves abus économiques et injustices sociales...?