Par DR M.A. BOUHADIBA Le tollé soulevé par la destruction du mausolée de Sidi Bou Saïd n'a d'égal que l'affection que portent tous les Tunisiens pour ce saint homme. Plus de 13 mausolées ont été détruits ou endommagés récemment en Tunisie dans ce qui semble être aujourd'hui une véritable guerre de religions. Nous avons d'un côté les soufis et de l'autre, les salafis qui détestent les premiers, car deux conceptions de la même religion les opposent. Le soufi approche la religion par l'esprit et le cœur, c'est-à-dire par l'amour de Dieu alors que le salafi l'approche par la contrainte de la loi. Le soufi est dans une logique de dévotion totale, alors que le salafi essaie d'acquérir la connaissance des textes sacrés et leur stricte application, cela fait que pour plusieurs raisons, trop longues à détailler ici, les salafis sont persuadés que le soufisme est une déviation de l'Islam et qu'ils ont la responsabilité suprême d'éradiquer cela. Cela nous mène donc à la grande question: «qui est musulman et qui est déviant?» et à la deuxième grande question: «qui est légitimement habilité à déterminer qui est musulman?» Ces deux questions sont restées floues et sans véritable réponse jusqu'en 2005 lorsque, feu le roi Hussein de Jordanie prit l'initiative de convoquer à Amman le ban et l'arrière-ban du gratin mondial des savants islamiques, plus de 200 ulémas venus de tous les pays du monde pour débattre et régler une fois pour toutes cet épineux problème. Ces éminences identifièrent les dangers qui menaçaient l'Islam et qui étaient alors une menace sur l'identité islamique, une menace d'atteinte au sacré, une distorsion de la religion et surtout la multiplication des actes irresponsables perpétrés par les extrémistes. Bref, il y avait un vrai risque que les fanatiques de tous poils ne détruisent tout simplement la civilisation islamique. Il fallait d'urgence restaurer la vraie image de l'Islam. Soucieux d'apaiser les tensions, ils firent une déclaration en trois points appelée «le message d'Amman» Dans cette déclaration, parmi d'autres importantes recommandations, tous unanimement et sans réserve déclarèrent que le soufisme était partie intégrante de l'Islam. Ce message d'Amman fut suivi de fatwas émises par les plus grandes autorités islamiques, comme Sayed Tantawy, grand imam d'Al Azhar, Ali Goma, grand mufti d'Egypte, Ali Bardakloyu, président du grand Conseil des affaires religieuses turques, le grand mufti de Syrie, celui de Jordanie, le président de l'Académie saoudienne du fiqh, le président de l'Union internationale des savants musulmans, le grand ayatollah Ali Khamenei d'Iran, l'Agha Khan et beaucoup d'autres. Cela fut suivi par de nombreuses conférences internationales comme le Forum des penseurs islamiques, la session extraordinaire de l'Organisation de la conférence islamique, ou la conférence de l'Académie internationale du fiqh, qui toutes apportèrent un soutien sans faille à ce message. Cela ne devait pas s'arrêter là, loin de là, puisque les autorités de plus de 85 pays dont des pays occidentaux entérinèrent ce «message d'Amman» Pour la Tunisie les autorités qui ratifièrent officiellement ce message comprenaient à l'époque: Mohamed Ghanouchi, Premier ministre, Hédi Baccouche, ex-Premier ministre, Ali Chebbi, président du haut conseil islamique, Aboubaker El Akhzouri, ministre des Affaires religieuses, Cheikh Mohamed Habib Belkhoja, Dr Mohamed Buzaïdi, directeur de la Zitouna. Enfin, parmi eux se trouvait aussi le Cheikh Rached Ghannouchi. Ainsi donc le soufisme fut officiellement, pleinement et mondialement consacré en 2005 comme faisant partie intégrante de l'Islam. Cela n'empêche pas qu'il y a encore des gens dont l'ignorance et l'isolement de l'actualité font qu'ils continuent une lutte sourde, sombre et malsaine, un peu comme le soldat japonais qui, isolé sur une île, croit que la Seconde Guerre mondiale dure toujours. Cheikh Jaïet, dans son testament, inscrivit le soufisme comme une des quatre composantes de l'Islam tunisien, il est là depuis des siècles et le restera pour l'éternité.....et Sidi Bou aussi.