Le carburant venant de la contrebande a investi la capitale jusque dans ses quartiers résidentiels. Exposés au grand jour, au bord de la route, les jerricanes proposent du super à 1,050 dinar le litre, contre 1,470 à la pompe. Si la vente illégale de carburant dans les régions intérieures et sur les routes nationales est devenue une pratique courante, au vu et au su de tous, ces deux dernières années, celle-ci demeure inacceptable, voire choquante, quand elle élit domicile dans les quartiers résidentiels de Tunis, où habitent les gens censées être des intellectuels, instruits, avertis (sens du civisme), des responsables d'entreprise, d'administration, de banque, etc. On peut comprendre que les vendeurs contrebandiers installent leur «commerce» dans les régions défavorisées, les quartiers pauvres, les cités délaissées, où ils trouvent preneurs, tentés par le prix du litre d'essence, mais empiler de grandes jerricanes de 22 litres en plastique à des endroits ayant pignon sur rue et étaler la marchandise au grand jour dans des quartiers huppés, comme du côté de Riadh El Andalous, dans le gouvernorat de l'Ariana, et de Carrefour market d'El Ghazala, cela devient inadmissible, exagéré, inquiétant. Car, la capitale est censée être la zone de concentration de tous les pouvoirs publics. C'est inadmissible car cette audace doublée d'arrogance des contrebandiers, qui ne cachent pas leur satisfaction de faire des affaires, d'avoir des clients réguliers (taxis et transport rural), y compris des propriétaires de station-services, signifie l'absence totale de contrôle et la défiance déclarée et affichée de toute forme de normes : loi, ordre, règlements, civisme. Inadmissible aussi, parce que l'individualisme et l'égoïsme, que nous constatons d'ailleurs de plus en plus dans divers autres domaines et actions, sont désormais en train de prendre des proportions destructrices et de gangréner la société tunisienne au point que plus personne ne se rend compte que ces pratiques sont en train de mener le pays et tutti quanti vers la faillite. Inadmissible, enfin, car rien ni personne ne semble être capable aujourd'hui de faire front au laisser-aller, à l'abus, à l'effritement des valeurs et des principes, ni de faire régner l'ordre et sauver ce qui doit être sauvé, préservé par-dessus tout : l'intérêt supérieur de la nation et l'hégémonie de l'Etat. Mais, en fait, qui d'autre que l'Etat dispose des moyens réglementaires pour faire respecter les lois ?