Samedi dernier a eu lieu à Tunis une cérémonie organisée par le groupe OpenGov.TN. Il s'agissait de récompenser un certain nombre de personnes et d'institutions qui se sont distinguées dans le domaine de la transparence et de la défense du droit d'accès du citoyen aux informations publiques. Mabrouka Mbarek, jeune constituante du parti CPR, a été primée dans la catégorie des «personnages publics». Signalons que, dans les autres catégories, les récompenses sont allées à l'Agence tunisienne d'Internet (organismes publics), la ville de Sayada (municipalités), Nawaat (médias), Al Bawsala (associations) et Chemseddine Ben Jemaâ (société civile)... La constituante s'exprime sur ce combat autour de la transparence, mais aussi sur son engagement politique au sein du CPR. L'ONG OpenGov.TN vous a décerné une récompense dans le domaine de la transparence. Quelles sont les actions précises qui vous ont permis de bénéficier des faveurs du jury ? Tout d'abord, ce n'est pas une ONG mais un mouvement citoyen. Moi-même, j'en suis membre fondateur. Après avoir été élue, j'ai appelé des amis pour voir avec eux ce qu'on pouvait faire. Il y avait eu des tentatives similaires après la révolution, mais elles avaient échoué... Notre idée a été que le mouvement devait être organique : il fallait qu'il vienne des Tunisiens mais que, dans le même temps, il implique les politiques. L'idée était de répéter le processus organique de la révolution... D'autres constituants se sont engagés, comme Nadia Chaâbane, Zied Laâdhari, Karima Souid, Haythem Belgacem... Il y a également des ministres, comme MM. Maâtar et Ladgham. M. Mustapha Ben Jaâfar lui-même est avec nous ! Le but du groupe, c'est de faire des campagnes. Pour répondre à votre question, j'ai participé à toutes les campagnes. Je suis très impliquée. J'ai fait la promotion de l'expérience de la municipalité de Sayada ; j'ai poussé afin qu'on aille parler de notre expérience tunisienne de la transparence à Brasilia, en avril dernier... Nous avons fait entendre notre voix, qui consiste à souligner qu'il n'y a pas de modèle prêt à l'emploi, que la bonne démarche n'est pas d'imposer la transparence par le haut (top down), mais d'associer les citoyens. Il faut que les citoyens s'invitent dans l'administration pour demander l'accès à l'information publique. Si Hamadi Jebali pratique l'Open Data, c'est aussi parce qu'il y a eu beaucoup de pression. On fait également pression pour que l'expérience de la ville de Sayada soit généralisée... Je suis donc très active dans ce domaine... J'ai publié tous les PV de la commission du Préambule : ce qui m'a d'ailleurs valu des problèmes avec certains de mes collègues ! Qu'est-ce qui vous a poussée à vous engager sur ce terrain de la transparence ? Quand on a toute l'information, on fait le bon choix. A l'inverse, quand on n'a pas l'information, se créent alors les conditions du mensonge et des opportunités pour la corruption. Un des grands mensonges qui a été raconté aux Tunisiens, c'est celui qui concerne les ressources naturelles. C'est faux de dire que nous n'avons pas de ressources naturelles en Tunisie : nous en avons beaucoup ! Il faut que le citoyen devienne un garde-fou. On peut avoir la meilleure Constitution : si les citoyens et la société civile ne sont pas capables de jouer leur rôle de garde-fou, tout cela ne servira à rien. Or, il faut permettre au citoyen d'accéder à l'information publique, de savoir comment est dépensé l'argent. Il faut lui en donner les outils. Dans certains pays, comme les pays scandinaves, le citoyen a conscience qu'il fait partie du service public : il se perçoit comme travaillant pour la communauté. La transparence budgétaire et la justice fiscale jouent un rôle... Il y a un lien, par exemple, entre environnement et fiscalité : le citoyen qui sait comment est dépensé son argent fera plus attention, il ne salira pas l'espace public. Ce n'est pas une question de mentalité : c'est une question de volonté politique. Les comportements respectueux de l'environnement n'ont pas toujours existé dans des pays comme la France : ils ont changé grâce à une volonté politique ! Quelles sont les priorités, à votre avis, au niveau de la Constitution, et à ce stade de son élaboration ? Il y a une proposition qui consiste à constitutionnaliser un institut de la bonne gouvernance. Mais cela ne suffit pas. J'ai vécu au Yémen et il y avait là un grand bâtiment sur lequel était inscrit en grand «Lutte contre la corruption...» Or, le régime était un régime corrompu. Cette administration était dépourvue de prérogatives ! Actuellement, au niveau du brouillon de la Constitution, c'est trop vague : il faut clarifier les prérogatives. Mais cela devra se faire au niveau de la loi : on ne peut pas rentrer dans les détails dans le texte de la Constitution... Il faudra faire très attention au moment d'élaborer la loi : préciser comment on élit les gens, comment on garantit leur indépendance, quelles sont leurs prérogatives, quels seront les recours en cas de conflit avec l'administration... En même temps, il est nécessaire d'ancrer les pratiques. Si les ministères de Hamadi Jebali ou de Sihem Badi pratiquent l'Open Data, c'est parce qu'il y a des personnes qui poussent dans ce sens. Mais il faudrait que tous les ministères passent à ce système... Je refuse qu'on me dise que les Tunisiens ne sont pas prêts. Il faut arrêter cette façon de les infantiliser. Donc, constitutionnaliser l'instance de la bonne gouvernance, préparer dès maintenant la loi et pratiquer la transparence : ne pas se contenter de l'engagement ! Vous êtes élue du CPR à l'ANC. Comment vivez-vous la situation actuelle d'instabilité ? Et, aussi, votre avenir au sein de votre parti? On est en instabilité depuis le début. Moi, je me concentre sur des dossiers. Comme celui de la dette. J'ai déposé une demande d'audit en ce qui concerne les dettes de l'époque de Ben Ali. Il ne s'agit pas d'annuler ces dettes mais de les réviser. La Norvège est déjà disposée à le faire... Un autre dossier est celui des ressources naturelles. Béji Caïd Essebsi a pris des décisions dans ce domaine qui engagent la Tunisie sur une période de 25 à 30 ans, alors qu'il était à la tête d'un gouvernement provisoire. Et Jebali lui emboîte le pas dans ce domaine. Ce n'est pas acceptable. Il y a également la question de la Caisse de compensation, qui est à réformer. Je défends ces dossiers avec la coalition. Il y a des partis à vision séculière et d'autres à vision religieuse : on doit tous être autour de la table. Mais les choses sont en train de changer. On voulait affirmer l'identité arabo-musulmane de cette révolution : c'est fait ! Cela a été difficile, douloureux, mais c'est ainsi. Maintenant, il est temps de passer à d'autres objectifs d'ordre économique. Le programme économique du CPR est fondamentalement différent de ceux d'Ettakatol et d'Ennahdha. Par exemple, nous accordons une grande importance à l'autosuffisance alimentaire et énergétique. En outre, et à part quelques-uns dans le parti, nous sommes tous opposés au partenariat privilégié avec l'Europe. Les Européens veulent qu'on augmente les prix et qu'on cesse les subventions : qu'on libéralise. Mais libéraliser avec des marchés qui sont plus forts que nous peut causer des ravages, comme au Kosovo ! La prochaine alliance devra se faire autour de ces objectifs économiques...