■ Mohamed Abbou et Houssine Dimassi étaient les premiers à rendre le tablier, annonçant un début de crise qui atteint aujourd'hui son comble Une chose est sûre : la crise gouvernementale qui traîne depuis huit mois atteste de l'inanité du système parlementaire sous nos cieux. Un remaniement ministériel de prime abord anodin a dégénéré en si peu de temps en crise politique majeure. Pourtant, tel n'était guère le cas au début. Récapitulons : MM. Mohamed Abbou et Houcine Dimassi rendent le tablier, en juillet. M. Hamadi Jebali, chef du gouvernement, devait remplacer les titulaires des deux portefeuilles ministériels en deux temps et trois mouvements. Il n'en fut rien. L'attentisme attisa les différends. Les rendez-vous manqués se juxtaposèrent les uns aux autres. L'élaboration de la nouvelle Constitution fut pratiquement renvoyée aux calendes grecques. Idem des textes de loi devant régir la seconde période de la transition politique. Il s'agit de l'Instance indépendante des élections, de l'Instance de l'audiovisuel, du Conseil indépendant de la magistrature et du Code électoral. Puis ce fut le temps des scissions et des diversions. D'abord dans la Troïka intramuros. Puis dans chaque parti de la Troïka proprement dit. C'est le syndrome de la guerre de tous contre tous. Finalement, ce qui est à l'œuvre, c'est une conception féodale de l'Etat moderne. Qui plus est au lendemain d'une révolution fondée sur les valeurs de liberté et de dignité. La Troïka a accaparé les institutions. Les segmentations politiques tribales ont été opérationnelles. Et à force de rivaliser sur le butin, les protagonistes en sont arrivés à se neutraliser. Et l'opposition n'y est pour rien, étant elle-même inconsistante et falote. La classe politique tunisienne est à l'index. Elle traîne des archaïsmes avérés. Elle agit davantage en groupuscules épars et antagoniques de sectes traquées et de féodalités avortées qu'en levier et vecteur de la scène politique. Le système constituant est en vigueur depuis près d'une année et demie. Il étale toutes ses misères en sa qualité d'anticipation affligeante du système parlementaire. La partitocratie a fini par enfanter une espèce de transition bloquée. Qui fait du surplace et n'en finit pas d'empoisonner la place. Dernier épisode en date, la proposition de M. Hamadi Jebali de former un gouvernement de technocrates. Soit un gouvernement restreint de gestion des affaires courantes. Ennahdha s'y oppose mordicus. La réaction du propre parti de Hamadi Jebali en dit long sur le peu de cas qu'on fait des institutions au profit des partis. Et les partis sont livrés à leur tour au diktat des coteries. Aujourd'hui, l'impossible remaniement grève tout. Les ministères sont en stand by, dans l'expectative et l'attente. Les entreprises aussi. Les investissements reculent vertigineusement. Les indices de la bourse tanguent. Plus personne ne fait plus rien, en attendant Godot. La chronique des faits s'apparente à une navrante chronique d'une transition inachevée. Certes, les armées battues sont bien instruites. Mais en l'occurrence le combat semble fini faute de combattants. Et puis il y a ce profond clivage qui se profile en raison de l'assassinat de Chokri Belaïd. Le pouvoir s'y investit par la négative. Aucun des représentants de la Troïka et des trois présidences n'a été autorisé à se joindre aux obsèques nationales du défunt. Pourtant, des millions de Tunisiens y prirent part. Les partisans d'Ennahdha organisèrent, le lendemain même de ces obsèques, une «contre-manifestation» aux rangs clairsemés. Une initiative impromptue, contreproductive et de trop. Ce faisant, les partisans du parti gouvernemental donnent l'impression de se couper de la large masse. Parce que toute la Tunisie a pleuré et accompagné Chokri Belaïd à sa dernière demeure. Même la douleur est devenue sélective sous nos cieux. Hélas !