On spécule beaucoup, ces derniers jours, sur un « prétendu » conflit entre Hamadi Jebali et Rached Ghannouchi. On peut aisément concevoir que ce que les analystes appellent « rébellion » de Hamadi Jebali, ait fortement déplu sinon contrarié son maître à penser et mis en branle « Majless Echoura » là où crèche l'aile dure d'Ennahdha. Du reste, il y a une certaine logique. Celle-ci est d'abord d'ordre politique : Ennahdha, premier parti du pays, très fortement ancré, se réclame d'une légitimité électorale sanctifiée par le vote du 23 octobre. Moteur de la Troïka, Ennahdha ne conçoit, donc, pas que les ministères de souveraineté sortent de sous sa tutelle et échappent à son contrôle. Cette logique est, par ailleurs, d'ordre institutionnel : le gouvernement est l'émanation de l'ANC – du moins, il jouit de sa confiance – et,dès lors, selon les dignitaires d'Ennahdha, Hamadi Jebali doit avoir l'aval de l'hémicycle pour enclencher un quelconque remaniement. C'est là où les constitutionnalistes paraissent divisés. Une « Fatwa » suggérée par Yadh Ben Achour à Hamadi Jebali permet au chef du gouvernement de contourner l'avis de l'ANC, par un simple remaniement. D'autres considèrent que le gouvernement que projette de former Jebali serait, peut-être, légal (au vu de l'article 119) mais illégitime puisque la logique parlementariste dicte qu'un gouvernement doive émaner des urnes et par ricochet, refléter les pesanteurs stratégiques au sein du Parlement et l'ANC en est un dans le sens classique du terme. C'est, donc, la première (sérieuse) crise politique depuis le 23 octobre. Mais, on n'occultera pas un fait à porter au crédit de Hamadi Jebali, sinon résolument à son honneur : il court le risque de se déjuger comme Nahdhaoui et comme secrétaire général du parti Ennahdha pour s'affirmer comme homme d'Etat. De surcroît, il multiplie les déclarations résolues dans le sens de ce qu'il a décidé, sur les canaux des télévisions étrangères (France 24) et sur les colonnes de journaux influents (Le Monde). Il y a, donc bien, bras de fer. Cette affaire peut même se solder (scénario catastrophe) par la démission de Hamadi Jebali. Sa reconduction après une démission induite par une motion de censure serait un jeu stérile et évoquerait quelque part les instabilités gouvernementales du style italien où les relents de République bananière comme l'était la IVème République française. Pour l'heure, les partis y vont chacun de son couperet bien préparé. Et cela, donne un scénario surréaliste : Hamadi Jebali est seul contre tous. Mais il a tout le monde contre lui. Mais, au fait, pourquoi ne s'est-il pas rabattu sur un référendum où le peuple dirait son mot. Faute de moyens, sans doute, parce qu'il n'y a plus d'instance capable de l'organiser depuis qu'on s'en est pris de manière épidermique à l'équipe de Kamel Jendoubi. Faute de temps, aussi, parce que les problèmes s'accumulent et que la fracture sociale s'amplifie avec pour corollaires, la situation actuelle de la sécurité et celle de la justice. Deux ministères de souveraineté auxquels ne renoncera jamais Ennahdha mais qui représentent la pomme de discorde. La sécurité, justement. Les invités de Moëz Ben Gharbia, lundi soir, étaient unanimes pour dire que les salafistes qui donnaient pourtant du leur pour protéger les équipements publics et privés, n'étaient pas dans leur rôle. Si la sécurité est assurée par des forces parallèles aux forces de l'ordre officielles (police et militaires) cela marque, disaient-ils, « le début de la fin de l'Etat ». Sans doute, les salafistes veulent-ils donner une autre image d'eux-mêmes. Et certains d'entre eux l'ont déclaré : « nous ne sommes pas ce que les Tunisiens croient et ce que nous faisons pour protéger nos concitoyens c'est pour Dieu que nous le faisons. Quels sont leurs moyens logistiques ? Quelle est leur force de persuasion ? Sont-ils entraînés et structurés pour les techniques de la dissuasion ? Et, à la fin, qui les a mandatés pour se donner avec autant de zèle dans la protection de la cité ? A l'évidence les forces de l'ordre, décriées depuis qu'un certain ministre de l'Intérieur, après la Révolution, nous a présenté une image diabolisée autant du RCD que du ministère de l'Intérieur, lui-même. Ce qui est néanmoins, frustrant, c'est que, hormis le manque de moyens, la police tunisienne (comme l'armée) est « viscéralement » républicaine et qu'elle est surtout performante. Le problème actuel réside simplement dans une crise de confiance. Les forces de l'ordre doivent retrouver la confiance. On les a, quand même, vues se démener lors des obsèques de Chokri Belaïd, et cette journée là elles ont arrêté 590 délinquants âgés entre 16 et 25 ans. Partout, ailleurs, les casseurs profitent des manifestations pour assouvir une haine envers la société qu'ils jugent coupable de leur chômage, de leur précarité et de leur mal-vivre. De là, à dire que les neuf voitures incendiées étaient ciblées et que ces hordes sauvages obéissaient à des ordres occultes il y a un pas que seules les investigations et l'instruction pourront franchir. En revanche, les ordres étaient clairs dans la manifestation des Nahdhaouis, avenue Habib Bourguiba, le lendemain des obsèques de Chokri Belaïd. Ennahdha a bien affrété des bus – ce qui est dans son droit – et massifié cette manifestation, dont on espère que dans l'esprit des dirigeants nahdhaouis, elle ne devait pas donner le change à la procession pour Chokri Belaïd ni creuser encore plus la cohésion sociale matérialisée par des obsèques dignes des grands de l'Histoire. On sentait, cependant, que cette manifestation était dépourvue de fil conducteur. Les slogans étaient hors contexte et à un certain moment ces appels au maintien de la légitimité et à la glorification d'Ennahdha, retentissaient indirectement comme une fronde à l'endroit de.... Hamadi Jebali accusé par l'aile dure de vouloir justement saper cette légitimité. Et c'est ainsi que les manifestants se sont emmêlés les pinceaux. Il y avait la légitimité et bien entendu les remontrances envers la France, dont le ministre de l'Intérieur M. Valls s'est laissé aller à des réminiscences post-coloniales. Il a aussi attisé les feux de l'islamophobie récurrente oubliant que tous les mouvements intégristes avaient été fortement appuyés par l'Occident. Il y a à l'évidence une forte confusion dans les esprits entre arabité, Islam et démocratie. Un Islam démocratique est dans l'essence des choses, dans la quintessence de la précellence. Réduire l'Islam au Niqab, aux barbus aux jihadistes relève d'une méconnaissance totale des valeurs qu'il distille et de ses principes de tolérance. M. Valls n'a, sans doute, pas lu l'Histoire des croisades, encore moins les conquêtes de l'Islam. Et il ne doit pas non plus, intégrer la dimension ethnique et communautaire qu'a rendue possible l'Islam. Sauf qu'il faut que les ministres français et tunisiens doivent calmer les esprits et travailler pour l'apaisement garant des relations séculaires entre les deux pays. Notre ministre de l'Equipement (nahdhaoui, c'est son droit), était très mal inspiré de rivaliser en hardiesses pamphlétaires sur le toit d'un bus lors de cette manifestation avec M. Ellouze qui, à sa manière, et à la faveur de son violon d'Ingre, le conflit des cultures, cultive sans s'en rendre compte l'islamophobie dans l'esprit des Français.