«L'astuce est de se retrouver à mi-chemin, et c'est ce qui sera fait» «Le CPR a implosé en premier, parce que c'est le parti le plus divisé» «Les Assemblées sont dans l'incapacité de gouverner un pays en crise» L'attente n'est pas forcément une mauvaise chose, Beckett en a fait une pièce à succès, à la seule différence que nos metteurs en scène actuels n'ont pas le même talent. Ennahdha réfute catégoriquement l'idée d'un gouvernement de technocrates. Mais le rejet, selon un haut responsable du parti, n'est pas total, puisque la différence entre les deux options se situe entre «le socle et la ceinture». Le parti majoritaire au pouvoir considère qu'un gouvernement politique panaché de compétences est la meilleure alternative pour venir à bout d'une phase autant politique qu'instable. L'Industrie, le Commerce, l'Environnement et bien d'autres ministères seront occupés par des technocrates purs et durs, «ceinture du gouvernement». Le chef du gouvernement qui semble, lui aussi, avoir modulé son offre, défend toujours l'option d'une formation de technocrates, «le socle» panaché de personnalités politiques. «Tout est dans le dosage», fait observer notre source. Mais, grande nouveauté: les dirigeants du parti islamiste, même les plus radicaux d'entre eux, semblent avoir concédé d'inclure dans les négociations les ministères de souveraineté. Question : avaient-ils seulement le choix ? Le facteur temps joue contre tous Ce sera, croit-on savoir, un gouvernement plus ouvert aux grandes familles politiques, avec pour marque de fabrique l'unité nationale. «L'astuce est de se retrouver à mi-chemin, et c'est ce qui sera fait», pronostique notre interlocuteur, sous le couvert de l'anonymat. La situation sécuritaire est explosive, la situation économique est très préoccupante, le facteur temps joue contre la Tunisie, prévient-il. «Il y va de l'intérêt de tout le monde de trouver un consensus autour de la formation gouvernementale, mais pas seulement. La constitution, le choix du président de l'Isie, la date des élections constituent autant de points de clivage qu'il faut résorber coûte que coûte», a-t-il encore estimé. A l'heure où nous mettions sous presse, le Chef du gouvernement tient réunion sur réunion, avec les principales formations politiques. Rien n'avait alors encore filtré. D'un autre côté, la scène politico-médiatique était en partie occupée par l'implosion soudaine du CPR. Le parti présidentiel, ou ce qu'il en reste, semble avoir reçu de plein fouet la crise politique avec des démissions en cascade de son secrétaire général, Mohamed Abbou, suivie de celle, de son épouse, l'illustre constituante Samia Abbou, et d'autres dirigeants du parti. Une crise qui, visiblement, va mettre fin à un certain nombre d'autres partis politiques, estime un observateur avéré de la scène politique. Le CPR a implosé en premier, parce que c'est le parti le plus divisé ; aucune unité idéologique, aucune unité de direction. Sans oublier le fait que le pays est à la croisée des chemins et que les enjeux très lourds, et sur lesquels les opinions se divisent beaucoup, a-t-il estimé. Beaucoup de partis seront objectivement donc exposés au même triste sort, à cause de leur faiblesse, de l'absence de direction réelle, de l'absence de leadership et d'assise populaire. «Il y a aussi la petite mégalomanie au niveau des directions, tous veulent être présidents. Avec l'équation personnelle, ils font de la surenchère». Eclairage et scénarios Face au manque de visibilité, on ne peut donc qu'imaginer des scénarios possibles, selon des données objectives, selon aussi les dispositions juridiques prévues par la loi portant sur l'organisation provisoire des pouvoirs publics. Premier scénario: Hamadi Jebali maintient sa proposition, forme son gouvernement et ne passe pas devant l'Assemblée. Mais cette dernière courroucée par ce crime de lèse-majesté, s'estimant unique dépositaire de la légalité, vote une motion de censure. Par le biais de la suprématie numérique, le gouvernement tombe. Les députés prendront alors leur responsabilité historique de ce qui pourra advenir au pays. Deuxième scénario : en l'absence de ratification de son parti essentiellement mais des autres partenaires qui pèsent, Hamadi Jebali présente sa démission au Président de la République qui mettra en application l'article 15. M. Marzouki désignera alors une personne relevant des partis majoritaires, dans un premier temps, qui sera appelée à former un gouvernement. Si au bout de 15 jours le gouvernement n'est pas formé, le Président nommera une personne pouvant être sans affiliation partisane. Troisième scénario: ni l'un, ni l'autre, le pays continue à cogiter, l'instabilité perdure avec toutes les conséquences possibles et imaginables. Il y a une limite à la légitimité qui se consume, fait observer un constitutionnaliste. Si l'Assemblée constituante continue à travailler de cette manière, la voie est grande ouverte à toutes sortes de violence, d'anarchie et de retour à la dictature. Nous allons vers des situations de plus en plus catastrophiques. Les assemblées ne peuvent pas gouverner un pays en crise. Par contre, avec un Premier ministre ou un Président de la République, la responsabilité est individuelle. Au contraire, dans une assemblée, les gens se cachent derrière l'anonymat du collectif. Ils agissent d'une manière totalement irresponsable, défendent leurs intérêts, leurs fauteuils, leurs petits salaires. Quant au conseil des sages, il n'existe plus, estime un de ses membres. C'est une consultation de la part du Chef du gouvernement adressée à des personnalités à titre individuel. Il n'y aura de conseil des sages que lorsque le texte sortira avec une définition de critère pour la nomination des membres. C'est un conseil purement consultatif. Voilà, ce qu'il en est. Un imbroglio impossible à démêler. Mais une chose est sûre, un jour les grands-mères tunisiennes raconteraient à leurs petits-enfants : il était une fois un remaniement.