Par Ali JAOUANI (sociologue) En général, l'homme vit des situations problématiques et il s'y adapte en cherchant des solutions qui donnent un sens à son être, qu'il traduit par ses comportements. Et c'est essentiellement le rôle de l'intelligence appuyée par les autres facultés psychiques. Et vu la variété des comportements dans une même situation, il est permis d'y voir l'unicité de l'être qui n'est donc identique à aucun autre. Il est ressemblant, jamais identique. Dans ce cas, l'autre se distingue par sa différence et la question est à la base d'un débat qui ne finit pas. La normalité, c'est quoi au juste ? Dans un profond texte sur «Le normal et le pathologique», Jean Lacroix proposait quatre critères pour la définition de la normalité : l'intégration, l'autonomie, l'adaptation, la ressemblance. Cette approche renvoie à l'usage et au sens donné au comportement dans le temps présent. «L'individu n'est pas seulement ce que son histoire fait de lui, mais aussi ce qu'il fait de son histoire», dit-il. Cela veut dire que c'est la «créativité» qui prime sur toutes les caractéristiques de la normalité : «L'homme normal est celui dont la vie individuelle et sociale est habituellement orientée dans un sens créateur», précise-t-il encore. Ainsi doit-on considérer un géant créateur tel que Taha Houssein (né voyant, devenu aveugle) comme un handicapé? L'individu peut développer des sens de compensation, dépasser tout handicap : c'est-à-dire dépasser le normal. La Journée nationale des handicapés est à mon sens un appel à tout un chacun de se reconsidérer et surtout de revoir la perception que l'on se fait généralement du handicap. Tous ceux qui iront voir l'exposition de nos concitoyens «handicapés» invoqueront sans nul doute le sens de l'interrogation. Ils changeront, s'ils ne l'ont déjà fait, leur vision du handicap. Et pourque diminuer encore plus l'intolérance au niveau des attitudes et des comportements vis-à-vis de nos concitoyens «handicapés», c'est-à-dire, vis-à-vis de nous-mêmes. Pourque cette jeune fille B. ne souffre plus du regard (presque inquisiteur !) des autres qui la confondent avec son handicap. Pourtant, elle est créatrice, peintre au talent franc, courageux et inventif. Lorsque je l'ai vue pour la première fois, j'ai compris l'appréhension que je lui inspirais, reflétée dans un regard instable et que, si elle était ainsi, ce serait à cause d'une éventuelle intolérance qu'elle redoutait… Ce ne fut pas le cas. Heureusement. Ses propos m'ont rappelé l'«insociable sociabilité» chère à Kant. Une question me hantait l'esprit depuis : tolérer quoi chez un «handicapé» pour qu'il soit comme moi ? Une phrase de Mohamed Talbi me rassure : «La tolérance est fragile et indéfinissable, ce qui nous pousse à proposer de lui substituer la notion de respect». Une phrase qui fait parfaitement sens.