Le décor est planté pour la persistance de la crise politique. Le gouvernement en instance perpétuelle de formation devra marcher sur des œufs. Les dégâts politiques sont tellement graves qu'il faudra courir deux fois plus vite pour rester à la même place. Résumons : après les pressions concentriques d'une large gamme de formations politiques, le mouvement Ennahdha a bien voulu accepter la neutralisation des ministères de souveraineté. La société civile et l'opinion publique avaient également exigé cela. Le bilan de la gestion des ministères de l'Intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères par des ministres nahdhaouis est on ne peut plus accablant. Un peu partout, c'est le constat du fiasco quasi général. Le ministère de l'Intérieur a multiplié les bourdes. Son laxisme détonnant a autorisé bien des dérives sécuritaires, terroristes, incendiaires et criminelles. De bien douloureux événements restent gravés dans les mémoires : 9 avril 2012, Abdelliyya, attaque de l'ambassade US à Tunis, assassinat de Lotfi Naguedh, attaque des locaux de l'Ugtt, répression du soulèvement de Siliana et assassinat de Chokri Belaïd. Quelques exemples parmi tant d'autres. Le département de la Justice n'est pas en reste. Les critiques fusent. La magistrature est en crise. L'avocature aussi. Quant au département des Affaires étrangères, il a été au centre de bien des affaires et scandales. L'acceptation d'alliés d'Ennahdha de participer au nouveau gouvernement d'Ali Laârayedh est liée à plusieurs conditions. La neutralisation des ministères de souveraineté en est une. Certains exigent aussi la dissolution desdites Ligues de protection de la révolution et l'adoption d'une politique d'apaisement sécuritaire. Idem pour les nominations abusives, la maîtrise des prix et la mise en place de structures indépendantes à même de garantir des élections régulières. Cela concerne particulièrement la haute instance indépendante des élections, le conseil indépendant de la magistrature et la haute instance de l'audiovisuel. C'est dire que tout n'est pas gagné. Les coteries partisanes sont encore à l'œuvre. On en est encore hélas au niveau des segmentations partisanes des administrations et du service public. Cela entraîne des effets contreproductifs et pervers. Des responsables d'Ennahdha particulièrement et de la Troïka en général ont été parachutés à la va-vite à la tête d'administrations publiques. Ils se sont retrouvés coupés de leur administration, laquelle a été sinon paralysée, du moins sérieusement perturbée. Il faut consentir beaucoup de sacrifices pour remettre les pendules à l'heure. Les nominations de plus d'un millier de cadres et de responsables progouvernementaux constituent elles aussi un grave sujet de discorde. La logique de suzeraineté politique risque de prévaloir. Et l'on se retrouvera avec des dés pipés. De sorte que certains partis règneront sans gouverner. Ce qui n'en finira pas d'empoisonner la vie de l'administration et concourra à en entraver le plein fonctionnement. Ali Laârayedh est prévenu. Il fait face à bien des verrous. Disposer d'une majorité arithmétique à l'Assemblée constituante n'est guère le gage du succès. L'expérience de la défunte Troïka en est témoin. Elle disposait bien d'une majorité absolue de 138 voix sur 217. Ça ne l'a pas empêchée de sombrer. Ici et là, c'est plutôt le consensuel qui devra primer. La gestion des affaires de la cité est à géométrie variable. C'est le qualitatif qui prime plutôt que le quantitatif. A certains égards, la politique est affaire d'imagination. Il faut rebâtir méticuleusement, chaque jour, la légitimité. Etre aux commandes requiert l'adoption d'une approche participative. Il faut en finir avec la logique des majorités écrasantes qui écrasent. L'adage instruit bien qu'un mauvais arrangement vaut mieux qu'un bon procès. La politique n'y échappe guère. Encore faut-il qu'Ali Laârayedh ait les coudées franches. Et que son parti, Ennahdha, daigne bien lui donner les moyens de sa politique. Ceux-là mêmes qu'il a refusés à son secrétaire général, le chef du gouvernement sortant, Hamadi Jebali.