Par Zouhaïer EL KADHI (Economiste) La dette n'est pas un mal absolu. La règle est bien simple : s'endetter pour investir mais pas pour les dépenses de fonctionnement Depuis la révolution, la Tunisie subit sans cesse d'innombrables pressions économiques et sociales. La population revendique des emplois, du développement régional, de l'infrastructure et des autoroutes, des services sociaux de tous genres. Si ces revendications sont tout à fait légitimes et compréhensibles, elles sont malheureusement irréalisables avec une économie tunisienne qui tourne au ralenti, à quoi il faut ajouter des prix internationaux des produits agricoles et alimentaires en hausse constante grevant le budget des dépenses de compensation. Le gouvernement en place tente de répondre aux différentes revendications mais se trouve contraint par la situation budgétaire du pays. Nul besoin d'être expert en économie pour conclure que les besoins financiers du pays sont énormes et qu'il est urgent de trouver de nouvelles sources financières. Aujourd'hui, la Tunisie n'a d'autres choix que de s'endetter et ceux qui prétendent le contraire sont de mauvaise foi ou, au mieux, incompétents. L'endettement n'est pas un mal absolu en soi. De nombreux pays qui ont gravi les échelons du développement ont eu recours, à diverses étapes de leurs processus de croissance, aux emprunts extérieurs. Lesquels emprunts permettent de combler les écarts entre l'épargne intérieure et l'investissement, de réduire les contraintes imposées à la croissance par des réserves en devises insuffisantes, d'influer sur le profil temporel de la consommation et de financer les déficits provisoires de la balance des paiements. Cependant, l'utilisation et la structure de ces emprunts peuvent faire l'objet de débats et de discussions : pourquoi s'est-on endetté et comment ? Pour assurer le futur, en investissant dans l'enseignement, la formation ? Ou bien parce que l'on a trop joué au casino ! Des experts et hommes politiques disent que c'est la même chose. Faux, totalement faux. Il y a l'immédiat et le futur qu'il ne faut pas confondre. S'endetter pour investir sur l'avenir, pour laisser un héritage à nos enfants paraît légitime. Tout comme les dépenses publiques, il faut distinguer celles qui sont des investissements et donc des valeurs d'avenir — on construit une autoroute pour longtemps, par exemple — et les dépenses de fonctionnement. C'est l'un des principes même des «règles d'or» des pays qui souhaitent en appliquer. Il est utile de financer, même en partie, l'investissement en capital public existant puisque les bénéfices s'accumuleront pendant des années et les futurs contribuables pourront donc facilement en assumer une partie. Il est aussi efficace de préserver une certaine stabilité des taux d'imposition sur le long terme et donc de financer avec la dette les besoins de dépenses ponctuelles. En revanche, la dette est plus que discutable quand elle finance les dépenses courantes et non les investissements productifs. Et il faut s'inquiéter des conséquences de l'effet d'éviction sur l'investissement qui peut ralentir à terme les niveaux de vie. Aujourd'hui, la Tunisie passe par une période difficile et délicate et la note de la Tunisie par les agences de rating ne cesse de se dégrader et cela n'est en rien surprenant qu'un pays qui a vécu une révolution subisse une dégradation de sa note. Cependant, il y a quand même un risque élevé de pouvoir aller chercher des fonds sur le marché des capitaux internationaux. L'une des issues est de faire recours au FMI qui, soyons honnête, exige des réformes, certes, mais qui ne sont pas forcément malsaines. Cela s'était déjà produit par le passé. Cependant, de nombreux tunisiens anti-FMI avancent souvent comme argument la crise de la dette des pays d'Amérique latine dans les années 90. Ce raisonnement est fortement biaisé dans la mesure où le contexte est totalement différent. La dette extérieure est l'ensemble des créances (crédits ou titres) dues à des non-résidents et remboursables en monnaie étrangère (ou plus rarement sous forme de biens et services). Aujourd'hui, à environ 39,7 % du PIB, la dette extérieure tunisienne reste supportable et les ratios de solvabilité demeurent à des niveaux relativement rassurants. De plus, ce niveau d'endettement est jugé raisonnable comparé à d'autres pays émergents et même occidentaux. Cependant, et dans un contexte révolutionnaire, la Tunisie peut négocier des prêts assortis de conditions concessionnelles à moindre coûts (taux d'intérêt faible) et d'échéance confortable (une dette de long terme). En définitive, la dette n'est pas un mal absolu. La règle est bien simple : s'endetter pour investir mais pas pour les dépenses de fonctionnement. Par ailleurs, nous ne sous-estimons pas les possibles conséquences en termes de maîtrise des prix et de taux de change inhérentes au gonflement de la dette. Dans ce contexte, la BCT doit redoubler de vigilance. Nous devons l'être également collectivement tout en gardant à l'esprit que refuser à l'Etat de s'endetter, c'est lui refuser carrément d'exister. Ceci étant, y a-t-il d'autres alternatives à l'endettement extérieur. La réponse est bien entendu oui. En effet, la Tunisie pourrait exploiter l'épargne des Tunisiens à l'étranger par des mesures incitatives. Une épargne qui devrait permettre non seulement de disposer d'un matelas de devises confortable mais aussi de relancer l'investissement. Rappelons à cet égard que les transferts des Tunisiens à l'étranger représentent la première source de devises du pays. Le secteur des exportations est aussi une solution non moins importante. Toujours est-il que cette solution n'est valable qu'à moyen long terme dans la mesure où elle nécessite des investigations approfondies pour déterminer les couples (secteur porteur/pays dynamique) au niveau international.