Par Amel Bergaoui Soufiane Ben Farhat, Om Zied, Sofiane Ben Hamida, Hamza Balloumi, Naoufel Ouertani et autres journalistes de la presse écrite et audiovisuelle, qu'ont-ils en commun ? Condamnés à mort par des souteneurs pro-Ennahdha par avoir exercé leur métier, une kyrielle d'hommes et femmes de médias ont commis le péché de désacraliser une oligarchie nahdhaouie attachée à son auréole de sainteté, couronne d'épines pour toute démocratie en devenir. Ainsi, le véritable et seul parti au pouvoir, empêtré dans le saint des saints des arcanes de l'Etat et de son administration, expose à tout vent sa fragilité. Soutenus âprement par des fans à l'âme tueuse, prêts à en découdre avec les «traîtres» à la cause de l'aile extrémiste du mouvement des Frères musulmans made in Wahhabia, Ennahdha et son escorte font désormais peine à voir. Alors, fasse Dieu que la Tunisie ait autant d'hommes et femmes libres, unis par l'amour pour la patrie et la dénonciation d'un étau fasciste, étrangleur de l'identité nationale d'un peuple fier. Fier de son identité arabo-musulmane et non arabo-islamiste. Le combat est rude dès lors que l'on assiste à une nécrose d'un Etat de droit en mal de devenir. La mise en place d'un système de terreur à la carte contre des figures médiatiques ne fait que conforter dans un parallélisme des formes la mise en place d'une dictature de la pensée unique, d'un pouvoir politique au singulier. C'est pourquoi, les gesticulations hystériques de certains constituants appartenant au groupe Ennahdha au sein de l'ANC n'offusquent plus personne. Leurs cris d'orfraie, la haine qui les habite, la vindicte salivante de rage découlent d'une comédie au ras d'un pathos aux antipodes des valeurs de l'Islam. L'ANC, par sa médiocratie consommée, est plus que jamais hissée au summum du ridicule. Cependant, le ridicule ne tue point. En Tunisie, seule la parole libre est trucidée. Du reste, l'ANC, abri doré, légitimé et entretenu par le peuple tunisien, est devenue un sanctuaire ad-vitam eternam pour un groupe de constituants engagés dans la logique de la violence. Des constituants hors jeu, hors Tunisie. Aujourd'hui, en l'absence de démocratie politique, de démocratie sociale, de démocratie tout court, l'esprit réformiste provient d'un certain nombre de journalistes, toutes générations confondues. N'en déplaise à nos gouvernants, les médias indépendants, véritable «premier pouvoir», se sont constitués en contre-pouvoir. En exerçant réellement leur profession. C'est leur devoir fondamental dès lors qu'ils ne mangent dans la main d'aucun parti, et ce, malgré le racolage des uns et des autres... En fait, ces journalistes sont le poil à gratter de toute nomenklatura politique, religieuse ou affairiste. Investigations, commentaires, opinions, autant de genres journalistiques qui plombent l'aile de sherpas de la politique en décalage de transparence. A leur insu, ils entraînent dans leur sillage les mouvements progressistes de tous bords, confrontés aux assauts d'une occupation islamo-wahhabite, d'une partitocratie religieuse soutenue mordicus par les LPR, litière de toutes les violences. Il revient donc aux intellectuels de ce pays, porte-fanions des libertés fondamentales, défenseurs de l'Etat de droit, de regonfler les batteries des amorphes de la politique nationale. Ceux-là mêmes qui, viciés par un silence confondant de lâcheté, autorisent la confusion politicienne entre compromis et compromissions. Les postures renversantes des pleutres de tout acabit, dans l'attente que «cela passe», sont injustifiables; la vie de nos compatriotes étant dans la balance. Certes, le métier de journaliste est un métier dangereux. Certes, la voix et la plume sont des armes redoutables pour toute dictature. Certes, les journalistes sont au travers de l'Histoire en première ligne de toutes les batailles émancipatrices. Certes, ils sont désormais dans l'œil de mire d'une révolution inachevée. Et certes, ils réfutent d'adhérer à une «République de béni oui-oui», une «République de bang-bang». Souk El Houdoud Par la grâce d'un islamisme primitif, à mille lieues de l'Islam des Lumières, un club de petits tueurs en puissance a réussi à faire l'ignorance, l'émanation de la justice et de la vérité. C'est par cet absurde raisonnement, tourmenté aux entournures, que le mouvement tunisien des Frères musulmans a révélé une incontinence politique au long cours. En effet, en un claquement de bêtise, les Frères ont réussi à faire ressusciter dans la mémoire collective le leader et président Habib Bourguiba, à iconiser Chokri Belaïd, à redonner un second souffle à la résistance de la société civile, à ses leaders d'opinion et à booster les pieds-froids de la démocratie. La sottise islamisante est miraculeuse, époustouflante par sa contre-productivité, si ce n'est la mise en place d'une fabrique à la chaîne de héros nationaux ! Aussi, les «journalistes libres», attachés viscéralement à leur patrie, ne déserteront pas le sol national, ne mettront pas leur langue dans la poche, ne verseront pas de l'eau dans leur jus, et ce, quelles que soient les pressions administratives et les fatwas mises à l'encan au «Souk El Houdoud». Inverser le cours de l'Histoire n'est plus possible. Et si les LPR et consorts pensent rouge sang, des hommes et des femmes donneront de la voix, de la plume, car ils voient rouge. Le rouge du drapeau tunisien. Point de mansuétude donc envers les hystériques du pouvoir, de tous les pouvoirs. Et point de délai de grâce pour les nouveaux ministres de l'Intérieur et de la Justice. A l'épreuve du peuple, à l'épreuve d'un meurtre politique, ils devront prouver leur allégeance à l'Etat de droit. Aujourd'hui plus que jamais. Au fait, qui a commandité l'assassinat de Chokri Belaïd? Qui songe encore à faire liquider une femme ou un homme «libre» ?