Ne nous y trompons pas : les protagonistes politiques de la place semblent obsédés par les prochaines élections, prévues pour la fin de l'année. On n'en sait pas grand-chose en fait. Juste qu'il s'agira d'élections législatives et présidentielle plutôt distinctes et un nouveau mode électoral plutôt vague. Les baromètres politiques mensuels donnent des projections fort suivies et commentées. Trois donnes fondamentales s'y rapportent. En premier lieu, les mouvements Ennahdha et Nida Tounès se disputent la première place, dans un mouchoir de poche. Le deuxième fait entérine le Front populaire en tant que troisième force politique électorale. La troisième donne, enfin, révèle que la Troïka gouvernante (Ennahdha, CPR et Ettakatol) ne constitue plus la majorité, dans tous les cas de figure. En somme, Ennahdha n'est plus sûr de l'emporter haut la main via ses alliés dans les prochaines élections. En revanche, Nida Tounès et sa coalition de l'Union pour la Tunisie (incluant le Parti républicain, le Parti socialiste et le Parti du travail) aspirent à jouer les premiers violons. Reste la question de l'alliance entre l'Union pour la Tunisie (principalement Nida) et le Front populaire. Ces derniers jours, cela fait l'objet d'âpres débats et commentaires. A entendre certains, le Front populaire serait rétif à l'alliance avec Nida Tounès. Dans son optique, la bipolarisation Nida Tounès-Ennahdha n'est point nouvelle. C'est la perpétuation de la bipolarisation entre les destouriens et les islamistes qui a désagréablement marqué la vie politique tunisienne au cours des trente dernières années. Ses détracteurs mettent cette attitude du Front sur le compte du gauchisme qui, comme chacun le sait, est la maladie infantile du communisme. Les inconditionnels partisans du Front populaire, eux, clament à tout vent qu'ils ne sauraient faire le jeu des grands bourgeois, fussent-ils démocrates et anti-intégristes. Ils rappellent volontiers les nombreux recoupements entre les choix économiques et sociaux de Nida Tounès et d'Ennahdha. Des choix paradoxalement partagés entre les deux protagonistes en dernière instance. Les deux mouvements s'enracinent dans le socle du capitalisme sauvage et débridé, fait-on observer du côté du Front populaire. Pour autant, le Front populaire ne semble pas exclure pour l'instant des alliances circonstancielles avec Nida Tounès, sur fond électoraliste. Pour Nida, en revanche, l'attitude du Front populaire fragilise la coalition démocratique et peut faire le lit d'Ennahdha et de ses alliés, lors des prochaines élections. En fait, deux éléments interviennent à ce propos. En premier lieu, le Front populaire bénéficie depuis peu d'un regain de popularité. L'assassinat du martyr Chokri Belaïd a porté cette notoriété à son paroxysme. Et cela ne semble pas près de s'affaisser de sitôt. Au cas où le Front populaire serait crédité de 12 à 15 pour cent des intentions de vote, il aspire à jouer les premiers rôles. Quitte à le faire indistinctement de Nida. Ce faisant, il pourrait même s'imposer en tant que chiffre difficile de l'équation politique tunisienne. En second lieu, la brutale disparition de Chokri Belaïd, leader des Patriotes démocrates, laisse un grand vide et impose Hamma Hammami, leader du Parti des travailleurs, en tant que seul interlocuteur de Nida Tounès. Il est vrai aussi que, de son côté, Nida Tounès se présente volontiers sous un label libéral plutôt social-démocrate que de droite pure et dure. Des hommes comme Taïeb Baccouche, Mohsen Marzouk, Mondher Belhaj Ali ou Lazhar Akremi y jouent un rôle proéminent, à côté de Béji Caïd Essebsi et Ridha Belhaj. Il s'agit d'anciens hommes de gauche en rupture de ban, pour diverses considérations. Et ils gardent tous un puissant ancrage progressiste. Autant d'éléments qui portent à croire que les différends entre Nida Tounès et le Front populaire pourraient s'apparenter à un coup de tempête dans une famille obligée.