La perspective d'une bipolarisation à marche forcée entre une droite religieuse représentée par Ennahdha et ses alliés d'un côté et une droite libérale incarnée par Nidâa Tounes et ses satellites de l'autre, électrise le champ politique national. Les forces de gauche, qui ont été par le passé de tous les combats pour la dignité, le travail et la liberté, soit les slogans même de la révolution, semblent déterminées à peser de tout leur poids sur l'échiquier politique lors des prochaines élections et de constituer une troisième voie crédible. C'est du moins ce qui ressort d'un meeting tenu dimanche à Tunis par le «Front populaire du 14 janvier », une coalition regroupant cinq partis de gauche et d'obédience nationaliste arabe , en l'occurrence le Parti Communiste des Ouvriers de Tunisie (PCOT), le Parti Populaire pour la Liberté et le Progrès (PPLP), le Parti du Militantisme Progressiste (PMP) , le Mouvement Baâth et le Mouvement des Patriotes Démocrates (MOPAD/ le groupe conduit par Jamel Ben Lazher qui est né d'une scission du parti d'extrême gauche éponyme dirigé par Chokri Belaïd). Cette réunion a été, en effet, consacrée à un débat sur la constitution d'un front de gauche capable de parachever la réalisation des objectifs de la révolution. Concrètement, il s'agissait d'un élargissement du Front populaire du 14 janvier à d'autres formations de gauche, dans la mesure où les quatre nouveaux partis de gauche ont été invités à prendre part aux consultations. Ces formations sont le Mouvement Baâth et le Mouvement des Patriotes Démocrates (MOPAD, formation dirigée par Chokri Belaïd), le parti de l'Avant-garde arabe et démocratique (Attaliâa), le Mouvement du Peuple et le Parti du Travail patriotique et Démocratique (PTPD).
Rompre avec la bipolarisation
Ce front ambitionne de représenter une alternative crédible au mouvement islamiste Ennahdha et à la droite libérale dont le noyau dur est le Mouvement Nidaâ Tounes créé récemment par l'ancien Premier ministre Béji Caïd Essebsi. Dans son allocution prononcée à l'ouverture du meeting, le secrétaire général du PCOT, Hamma Hammami, a d'ailleurs bien tracé le positionnement du front sur l'échiquier politique en estimant que «le gouvernement actuel dominé par Ennahdha et le parti Nidaâ Tounes ne sont pas capables de réaliser les objectifs de la révolution de la dignité ». M. Hammami a également affirmé que l'action de l'actuel gouvernement est « en deçà des attentes de la population assoiffée de justice sociale et de partage équitable des richesses », accusant ce gouvernement de « fermer les yeux sur les agissements des salafistes qui menacent les libertés sous le prétexte fallcieux de la défense du sacré ». S'agissant de Nidaâ Tounes, le leader du PCOT a noté que ce parti «représente une force contre-révolutionnaire dans la mesure où il compte des résidus de l'ancien régime », indiquant que Béji Caïd Essebsi ne dispose pas de solutions aux problèmes du pays. « Après avoir assumé plusieurs responsabilités sous la dictature, M. Caïd Essebsi veut nous convaincre qu'il s'est aujourd'hui mué en démocrate impénitent », a-t-il souligné.
Plateforme économique et sociale
Le meeting a été, d'autre part, marqué par un débat sur la situation générale dans le pays. Les intervenants ont estimé, à ce propos, que « la majorité des objectifs de la révolution de la liberté et de la dignité ne se sont pas réalisés », notant que « les vrais problèmes des Tunisiens ne sont pas le hijab ou le niqab mais la pauvreté, le chômage et le déséquilibre régional », a-t-il indiqué, estimant que le peuple doit reprendre son destin en main. Un projet d'une plateforme économique et sociale a été, par ailleurs, présenté. Cette plateforme prévoit notamment l'encouragement d'un développement économique au service du peuple, la re-nationalisation des secteurs stratégiques qui ont été privatisés ; la formulation d'une politique économique et sociale qui rompt avec l'approche libérale capitaliste, et la réhabilitation du rôle interventionniste de l'Etat afin de protéger le citoyen contre la flambée des prix ainsi que pour la régulation du marché des produits de base et la lutte contre la spéculation. Le projet de programme économique et social du front préconise aussi l'octroi d'une indemnité aux chômeurs, l'amélioration du pouvoir d'achat des salariés, le gel des prix des produits de base, le lancement de négociations avec les bailleurs de fonds internationaux en vue de suspendre le paiement de la dette extérieure pendant quelques années et la création d'un fonds spécial dédié à l'investissement dans les régions défavorisées A noter que quatre comités mixtes ont été mis en place en vue de peaufiner le programme du front et d'élargir les consultations avec d'autres formations de gauche.