La décision d'un resserrement monétaire, même si les taux d'intérêt réels demeurent encore en territoire négatif, n'aura pas d'effet visible sur l'inflation mais risque d'exposer l'économie à une pénurie de crédit et à un processus de désendettement des ménages Par Zouheïr EL KADHI Aujourd'hui, c'est sur le terrain de l'inflation que la situation est très incertaine. Personne n'avait anticipé qu'un retour rapide de l'inflation viendrait porter un coup supplémentaire à une activité économique déjà très fragile. En effet, l'indice des prix à la consommation ne cesse d'augmenter, affichant au mois de février une augmentation, en glissement annuel, de l'ordre de 5,8%. Le plus préoccupant est que l'inflation alimentaire se situe à un niveau élevé (7,8%). En tout état de cause, la situation est particulièrement difficile et le retour à une certaine normalité est teinté de difficultés. La théorie élémentaire nous enseigne que si un peu d'inflation peut servir la croissance, trop d'inflation risque de la casser, en augmentant l'incertitude sur l'avenir, en provoquant un mouvement de défiance vis-à-vis de la monnaie qui incite les détenteurs de capitaux à chercher des valeurs refuges plutôt qu'à investir. Dans ce contexte, le Conseil d'administration de la BCT a décidé la semaine dernière de poursuivre le resserrement de la politique monétaire en augmentant de 25 points de base le taux d'intérêt directeur, pour le porter à 4%. Eu égard aux tensions inflationnistes, cette décision semble raisonnable et logique. Toutefois, sachant que les tensions inflationnistes actuelles ne sont pas d'origines monétaires, on peut s'interroger sur l'efficacité d'une telle mesure. Nul n'ignore aujourd'hui qu'une grande partie de l'inflation actuelle a comme origine les augmentations démesurées des salaires dans de nombreux secteurs. De ce point de vue, les tensions inflationnistes ne ralentissent qu'une fois que la productivité rattrape son retard. Pas d'illusion, ceci n'est pas pour demain. Ainsi, la décision d'un resserrement monétaire, même si les taux d'intérêt réels demeurent encore en territoire négatif, n'aura pas d'effet visible sur l'inflation mais risque d'exposer l'économie à une pénurie de crédit et à un processus de désendettement des ménages. Un tel processus serait bien sûr préjudiciable à l'expansion de la demande intérieure, notamment la consommation. Cependant, la décision de resserrer un peu plus la politique monétaire a le mérite de briser la hausse des prix de l'immobilier dont le communiqué de la BCT ne fait aucune allusion. En effet, les Tunisiens ont beaucoup emprunté, notamment pour investir dans l'immobilier, dont les prix se sont envolés. Et ils ont profité de cette valorisation de leur patrimoine en prenant de nouveaux crédits gagés sur leurs plus-values immobilières. Aujourd'hui, la hausse des taux peut freiner la formation d'une bulle immobilière. En effet, laisser ouvert le robinet du crédit, c'est nourrir une inflation immobilière qui peut devenir une bulle spéculative. Si personne ne peut conclure à la présence d'une bulle sur le marché de l'immobilier à l'heure actuelle, un réel danger nous guette. Certains indicateurs laissent à penser que l'immobilier est devenu trop cher et la bulle immobilière, si rien n'est fait, éclatera tôt ou tard en Tunisie. Cela appelle à la prudence, étant donné qu'une nouvelle hausse de la rentabilité des logements serait difficilement extrapolable. Dans ce contexte, plus la Banque centrale attend, plus l'ajustement risque d'être douloureux. Et comme le disait William McChesney Martin, un ancien président de la Fed (de 1951 à 1970), un banquier central doit savoir « retirer le saladier de punch au beau milieu de la fête».