Le mouvement d'indignation auquel on assiste à l'égard du Qatar de la part de nombre de nos concitoyens, quelles que soient ses motivations politiques ou politiciennes auxquelles certains ont fait allusion, renvoie en définitive à une idée simple : la révolution tunisienne appartient d'abord aux Tunisiens, à ses martyrs et à tous ceux qui, au quotidien, sont engagés aujourd'hui dans la lutte afin qu'elle débouche effectivement sur un régime de liberté politique. Quel que soit le rôle qu'a joué telle ou telle partie dans l'accompagnement du processus révolutionnaire, et que l'histoire se chargera de définir en y démêlant la part de l'aide fraternelle de celle qui relève de l'intérêt stratégique, il n'est pas admis qu'au nom de ce rôle, on tente de mettre notre pays dans la position de l'obligé malgré lui. Sans nier, comme le font certains peut-être, que le Qatar, ainsi que sa chaîne satellitaire, ont effectivement joué un rôle, aussi bien au cours des jours décisifs entre le 17 décembre et le 14 janvier 2011 que dans la suite des événements, à travers des aides à caractère économique, nous n'ignorons pas non plus que la révolution tunisienne fait elle-même l'objet d'un vaste plan régional, qu'elle est instrumentalisée selon des visées qui ne sont pas nécessairement les nôtres. L'observateur honnête ne peut que faire la part des choses dans cette affaire : qu'on ne lui demande pas d'être plus naïf qu'il n'est. Ce serait une injure... Une injure qui s'ajouterait à celle qui consiste à sous-entendre que sa révolution, il la doit en réalité à telle ou telle puissance étrangère. Que la princesse du Qatar ait eu le sentiment que les Tunisiens faisaient preuve, à l'égard de son pays, d'un manque de gratitude coupable, c'est son droit. Qu'elle l'exprime sur la Toile, on peut également l'admettre, même si c'est peu conforme aux usages diplomatiques. On fera simplement remarquer que poser le problème en termes de dette et de gratitude, c'est le présenter de façon très biaisée. Le Tunisien n'est pas plus ingrat que n'importe qui sur cette planète. En revanche, il est légitimement agacé à l'idée que son combat puisse être manipulé en vue de fins qui le dépassent : or il ne peut s'empêcher de penser que c'est le cas. Il y a là, pour lui, comme une évidence qui s'impose. Tel est le fond du malaise entre les Tunisiens, ou en tout cas une bonne partie d'entre eux, et le Qatar. Il ne faut pas feindre d'ignorer cette dimension de l'affaire. Mais ce qui est clairement inacceptable, c'est que le président de la République adopte ici la même position que ladite princesse, et qu'il fasse aux Tunisiens ce même procès moral en manque de gratitude, joignant même le ton de la menace à la remarque. Il s'agit là, pour le moins, d'un moment d'égarement. Marzouki en est arrivé à dénier aux autorités monétaires tunisiennes le mérite qui leur revient dans l'affaire de la récupération des avoirs spoliés par Ben Ali, pour cette raison que le Qatar y a pris une part : un geste qui se voulait sans doute une façon de rendre justice à un pays dont il tient à souligner les services rendus... Mais un geste qui a été surtout un flagrant déni de mérite aux acteurs tunisiens ; pire, une occultation pure et simple de leur rôle, à la faveur de laquelle on peut même considérer qu'il a cherché à se mettre lui-même en avant. Non Monsieur le Président, ce n'est pas de cette façon-là que nos anciennes coutumes «princières» ont besoin d'être rompues... Pas par l'égarement !