Le sport, cette pratique saine génératrice de santé, de maîtrise de soi et d'esprit sportif, ressemble de plus en plus à une industrie productiviste livrée aux convoitises de divers gros intérêts de deux mondes implacables: l'argent et la politique. Ce, alors que certains sports collectifs se sont transformés en cirque des temps modernes où s'affrontent des gladiateurs dopés qui ne s'entretuent plus mais gagnent merveilleusement bien leur vie et font tourner les affaires. Le phénomène du football, en particulier, drogue les foules et dresse pays, villes et quartiers les uns contre les autres, prenant le relais des guerres dévastatrices d'antan que se livraient volontiers les peuples pour diverses raisons futiles ou même sans raison. Le drapeau national que l'on déploie à l'occasion et l'hymne joué voire entonné en ouverture où lorsque les champions reçoivent le trophée sont les artifices de ces guerres modernes, heureusement dépourvues de victimes. Sauf que le hooliganisme a réhabilité la violence et le sang, en même temps qu'un fanatisme malvenu d'appartenance tribale qui cherche tous les prétextes pour ses explosions de violence agressive. Mais le sport n'est-il pas aujourd'hui un opium du peuple qui occupe, apaise les esprits et détourne l'attention vis-à-vis des problèmes sociaux, faisant du peuple des «sportifs» des troupes souriantes et dociles ? Jusqu'à l'explosion. D'où l'enjeu majeur qu'il représente en matière de gestion des foules au sein d'une opinion publique versatile qui attend souvent ses dirigeants politiques au tournant. Une chose est certaine, la superposition de la politique et du sport donne un mélange explosif, ouvrant la voie à des leaderships injustifiés basés sur la manipulation des foules fanatisées, en un cumul aussi malsain pour la démocratie que pour le sport. On en a vu les conséquences douteuses ces derniers jours en Tunisie, et à Bizerte plus précisément, lorsque des politiques, par ailleurs dirigeants de club, se sont adressés à leurs troupes, échauffant les esprits au mépris du bon sens, des règlements sportifs et de l'intérêt général. Dans une pulsion grégaire, des centaines d'individus en colère se sont en effet livrés à des actions de saccage, de pillage, ont proféré des insultes et commis des agressions contre les forces de l'ordre. Bizerte, cette ville paisible et capitale de l'évacuation coloniale de surcroît, a été même le théâtre d'un acte de profanation, celui de mettre le feu aux couleurs nationales. Aveuglés par le clanisme sportif, des supporters du CAB et autres intrus-vandales ont, en réalité, dépassé toutes les lignes rouges. Face à cet imbroglio qui a généré des réactions passionnées, le gouvernement s'est barricadé derrière une neutralité de façade. Lors d'une conférence de presse, Noureddine B'hiri, ministre auprès du chef du gouvernement, a, notamment, affirmé que «le gouvernement tunisien respecte l'indépendance des structures sportives et s'engage à faire preuve d'impartialité et de neutralité» (voir article ci-dessous). Ce que le ministre-conseiller a omis de souligner, c'est que la législation en matière de gouvernance sportive et d'associations est marquée par une incohérence et un hermétisme qui en compliquent l'interprétation. Au-delà de ce cas précis, élites, médias et opinion publique sont sommés de répondre de toute urgence à une question retentissante : dans quelle mesure le sport est-il soluble dans la politique ? Et peut-on confondre cette dernière activité citoyenne, synonyme de vivre ensemble, avec le fanatisme sportif, de plus en plus source malheureusement de violences, aux antipodes des règles du fair-play qui fondent l'esprit sportif ?