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Tunisie : la stratégie coopérative ou les chaos
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 18 - 04 - 2013


Par Sami EL GOUDDI et Abdeljaoued KACEM *
Quotidiennement, l'actualité politique en Tunisie rappelle à quiconque feint de l'oublier que gouverner un pays est loin d'être un «long fleuve tranquille». L'apparente illusion d'accalmie dans laquelle bercent nombre de nos politiciens dissimule tant bien que mal une incapacité flagrante d'agir. Faillite d'Etat ou impertinence d'une révolution de plus en plus indomptable ? La question reste posée d'autant que les tentatives d'apaisement des uns et des autres ne sont pas rassurantes. Les signaux envoyés par la classe politique sont tellement contradictoires qu'ils créent d'innombrables confusions et accablent le peuple tunisien à l'immobilisme. La révolution ne serait-elle pas la panacée de tous nos maux ? Incontestablement, la révolution a ses décadences.
Voyant dans la propagation des pratiques prônant ‘'l'anarchie politique'' matière à de profondes inquiétudes, les Tunisiens doivent se mobiliser une fois pour toutes contre le déferlement de toutes sortes ‘'d'hérésies révolutionnaires''.
Plusieurs variables pèsent sur le devenir de la révolution tunisienne. Indéniablement, la question économique y occupe une place de choix, tant ses ramifications sont multiples. Mais, nous estimons qu'en période de transition démocratique, avec son lot d'incertitudes et d'inquiétudes, le pouvoir explicatif de la dimension politique domine largement celui de la sphère économique. Celle-ci demeure, en effet, inopérante sans action politique préalable destinée à établir les règles.
Dans une tentative de comprendre les évolutions de la dynamique politique en Tunisie, nous développons trois scénarios. Outre les difficultés propres à toute analyse prospective, l'absence de repères et d'expériences politiques démocratiques complique davantage notre tâche. Par crainte que notre analyse ne soit utilisée pour attiser le feu de la discorde, nous avons volontairement fait le choix méthodologique de ne pas nous référer aux actions et aux dires des responsables politiques, en privilégiant une argumentation d'ordre théorique. En outre, ce choix nous semble être plus approprié pour participer à l'effort national, sans toutefois compromettre notre objectivité en tant que chercheurs scientifiques.
Scénario 1: l'attentisme stratégique débouchant au chaos généralisé
Qu'elles soient affichées ou implicites, l'absence de visibilité et l'indécision politique constituent aujourd'hui une stratégie à part entière. Néanmoins, sa généralisation mène au délitement du pacte républicain.
En effet, l'élasticité, inhérente à toute période transitoire, est alléchante à plus d'un égard, si bien que nombreux sont les acteurs politiques qui désirent la manier à bon escient pour s'approprier ses avantages et se prémunir contre ses inconvénients. Souvent, ces moments de flottement ouvrent des opportunités de rente politique durable en même temps qu'ils génèrent des risques de disparition. En conséquence, l'attentisme prévaudra. Concrètement, cette stratégie d'attentisme conduirait chaque partie à vouloir se différencier non sur la base de son programme mais à travers la disqualification de ses rivaux. Contrairement à la critique, qui vise la contestation des actions politiques, la disqualification privilégie délibérément le recours à des arguments non politiques dans un but de dénigrement des acteurs politiques. Les critères d'évaluation objectifs laisseront donc place à d'autres de plus en plus subjectifs, annonçant par là même ‘'la fin de la politique''. Les recalés, les médiocres, les fanatiques, les impies sont ainsi légion dans le glossaire politique des partis tunisiens. Paradoxalement, l'état de pourrissement économique et social se transforme en bénéfice politique, même si ses conséquences sur la stabilité de notre pays sont désastreuses.
Parallèlement, il faut admettre que notre culture politique constitue un handicap dans le processus de transition démocratique. Une lecture hâtive des discours des uns et des autres dévoilerait à quel point la plupart des acteurs politiques en Tunisie sont animés par une vision fantasmagorique de la politique. En effet, nombre d'entre eux songent, consciemment ou inconsciemment, à profiter de cette période de flottement afin de s'approprier les prérogatives traditionnellement associées aux coups d'Etat (ou un certain type de révolutions ‘'historiquement révolues ‘'). Ainsi, l'attentisme qui prévaut actuellement ne reflèterait-il pas la prédominance d'une logique de ‘'guerre froide'' où chaque partie aiguise ses armes en guettant le moment opportun pour abattre définitivement ses rivaux ? Les partis mèneront alors une course à ‘'l'armement'', au sens figuré bien entendu, sur fond de rumeurs et d'accusations mutuelles. Inéluctablement, l'Etat en sortira perdant.
Se nourrissant de la peur mutuelle des uns envers les autres, ce scénario cherche à marier une culture politique non démocratique avec les exigences de la liberté. Autant admettre le caractère chimérique de cet objectif. En effet, l'équilibre qui en résulte étant foncièrement instable, on s'orientera obligatoirement vers une situation de cohérence qui n'admet que deux configurations extrêmes : soit l'échec, soit la réussite du processus démocratique.
Scénario 2 : le triptyque dictatorial
L'installation de l'attentisme comme seule perspective d'action politique provoque un effritement progressif de la souveraineté de l'Etat. C'est ce que nous constatons malheureusement et de plus en plus. En témoigne la volonté de certaines tendances politiques de profiter du ‘'vide du pouvoir'' pour affirmer une sorte de domination territoriale sur certaines régions. A cela s'ajoute l'émergence de nouveaux processus d'identification et de perception sociales qui combinent, pêle-mêle, des aspects idéologiques, économiques et sociologiques, souvent agencés de façon anarchique. On n'est plus dans la logique traditionnelle où le sociologique crée sa propre expression politique, puisque désormais c'est le politique qui invente sa propre catégorie sociale. Il s'agit là de l'extrapolation sociopolitique du concept économique de ‘'filière inversée'' inventé par J.K. Galbraith et selon lequel l'entreprise ne se contente pas de répondre aux besoins des consommateurs mais elle en crée. Ainsi, en accentuant artificiellement les divergences ou en en créant d'autres, le politicien tente de s'assurer une existence durable, mais affranchie de la contrainte politique. En effet, l'angoisse de la disparition incite les protagonistes à s'inventer des identités sociologiques réelles ou imagées, en guise de rempart contre les aléas de la politique. Ainsi, les résultats électoraux, aussi transparents soient-ils, ne contribueront guère à apaiser le climat social ni à améliorer la situation du pays en termes de bien être collectif.
Toutefois, cette configuration est instable et s'ouvre logiquement sur deux possibilités aussi dramatiques l'une que l'autre: soit le glissement vers une confrontation ouverte faisant de la violence un impératif de survie, soit le rétablissement d'une dictature susceptible même de bénéficier d'un large plébiscite. Ce scénario met en exergue trois types de dictature qui peuvent être légitimés :
- La dictature militaire pour ramener le calme et couper court à toutes les aspirations révolutionnaires. Cette option aura un prix élevé et risque de mettre le pays face à une guerre civile lourde de conséquences en matière de liberté et de prospérité.
- La dictature de l'Etat régentée par les organes de l'Etat: ceux-ci ne pouvant en effet se résoudre à voir les symboles de l'Etat continuellement foulés aux pieds, risquent de se constituer en partie prenante dans le jeu politique même qu'ils sont tenus par une obligation de neutralité.
- La dictature autour d'un leader qui puisera ses ressources dans l'ancien système en mettant en avant ses compétences d'homme d'Etat. Il pourra à tout moment bénéficier de circonstances particulières (grèves, manifestations, assassinats politiques...) pour se renforcer et inviter les forces de l'Etat et l'appareil militaire à le rejoindre dans sa tentative.
Dictature militaire, de leadership ou institutionnelle. C'est le triptyque dictatorial. L'histoire contemporaine ne désemplit pas d'exemples confirmant ces éventualités. Suite à des périodes plus ou moins longues de liberté, les révolutions peuvent se muer en dictatures plus sanguinaires que celles contre lesquelles elles se sont levées.
La crainte de l'anarchie incite naturellement le peuple à concéder, et de plein gré, une part de sa liberté pour s'assurer une plus grande sécurité. Ce qui n'est pas sans nous rappeler le Léviathan de Hobbes. Outre l'aspect strictement sécuritaire, il est en effet plus rationnel et plus confortable sociologiquement et psychologiquement pour un peuple de subir une peur organisée. En effet, et contrairement à ce qu'il conviendrait d'appeler par opposition, une peur désorganisée, la peur organisée agit via des institutions. Ses conséquences sont de ce fait prévisibles, identifiables et surtout évitables pour quiconque consent se soumettre à son diktat. Même si ce mode de gestion politique est répressif, généralement il n'empêche pas de développer une activité sociale ‘'acceptable''. Toutes ces considérations justifieraient le retour à une dictature jugée plus convenable que le basculement vers un état de violence généralisée.
Scénario 3: la stratégie coopérative : le gagnant-gagnant
Contrairement à une idée largement répandue, il est en effet infondé d'établir une relation causale stricte entre le respect scrupuleux des procédures électorales et la réussite du processus démocratique. Se défendant d'emblée de toute accusation de mépris à l'égard de la souveraineté populaire, plusieurs expériences de transition démocratique confirment que le fait de s'appuyer exclusivement sur les résultats électoraux peut se révéler périlleux pour la construction de l'édifice démocratique. La raison tient à la nature même des termes de légitimation mobilisés. Généralement, les périodes suivant les révolutions présentent une forte charge utopique et émotionnelle, si bien qu'en cherchant à caresser le peuple dans le sens du poil, les politiciens risquent de s'écarter du discours politique porté sur l'action.
Différents sur les règles démocratiques, les acteurs politiques doivent trouver collectivement, étape par étape, le bon chemin, des points d'accord qui permettront d'agir dans l'«être-ensemble» dont parle Hannah Arendt dans la condition de l'homme moderne. De débats argumentés naît une dynamique évolutive, «par essai et erreur», qui mène à des normes provisoires, conduisant in fine à l'établissement de règles stables. Dans ce processus de tâtonnement, les rapports de force ne doivent pas être perçus comme définitifs.
La stratégie du gagnant/gagnant s'avère la meilleure alternative qui soit pour éviter les deux scénarios ci-dessus énoncés. La mise en place d'une coopération renforcée entre les partis politiques et les acteurs de la société civile installera un climat de confiance et renvoie des signaux certains aux entreprises et à la communauté internationale qui ne cesse de s'interroger sur le devenir de la transition tunisienne. Cette coopération permettra à tous les participants de sortir gagnants de cette période en assurant les bases d'une société où le minoritaire trouve pleinement sa place, ses droits et protection auprès du majoritaire. Certaines démarches doivent être entreprises pour la réussite de ce scénario :
- la reconnaissance mutuelle,
- le refus de la violence,
- le discours d'apaisement,
- l'implication de tous
Ce sont les socles du succès de cette démarche que les Tunisiens attendent depuis de longs mois. Le nouveau gouvernement doit rapidement saisir cette dernière chance pour enclencher et faire triompher ce scénario de l'intelligence et de la sagesse.
Recentrer le débat politique
Réussir notre transition démocratique suppose préalablement un recentrage du débat politique. Celui-ci doit prendre uniquement appui sur des thématiques politiques. En effet, alors que la stabilisation politique exige une stricte distinction entre la critique et la diffamation, entre l'engagement politique et l'instrumentalisation morale, certains ne s'encombrent malheureusement pas de tant de prudence. A cet égard, une charte morale favorisant l'émancipation du discours politique est plus que nécessaire : il importe de mettre fin à l'escalade verbale qui tôt ou tard risque d'enfanter un modèle de désordre et de chaos.
Même si notre pratique politique ne s'inscrit pas complètement dans une culture démocratique, elle a pour le moins le mérite de refuser catégoriquement la violence. Chaque Tunisien a le droit de cueillir les fruits de la révolution qui viennent à peine de fleurir. Nous devons encore patienter pour les vendanges. Construisons un Etat fort qui protège et sécurise les faibles avant les forts.
*(Fondateurs de Prospective Research Center (PRC), Analyses multidisciplinaires)


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