Dans le cadre d'une tournée internationale et à l'initiative de l'Institut français de Tunisie, la troupe de la Comédie Française est passée, samedi dernier, par le Théâtre de la ville de Tunis, pour une représentation unique de la célèbre pièce de Marivaux, Le jeu de l'amour et du hasard(*). Pendant deux heures, ils ont tenu en haleine un public venu nombreux, et si bien représenté leur institution. Ecrite en 1730, à la veille de la Révolution française, Le jeu de l'amour et du hasard est une œuvre majeure parmi les classiques du théâtre et de la littérature non seulement français mais universels, également. Aussi n'est-ce pas un hasard qu'elle est, jusqu'a aujourd'hui, revisitée par la Comédie Française, dont le rôle est justement de ne pas laisser l'héritage artistique prendre des rides. Les pièces les plus classiques sont à cet effet remises au goût du jour, à la fois pour conquérir le public et pour le questionner. Il s'agit tout de même d'écrits en avance sur leur temps, ou qui le dépassent carrément, trouvant leur place dans d'autres contextes, bien des siècles plus tard. C'est là où réside, entre autres, le défi relevé par la troupe de la Comédie Française qui donne du sien, entre comédiens et metteurs en scène, pour contribuer à donner un nouveau costume aux textes, tout en gardant le même fond. Le cas de l'œuvre Le jeu de l'amour et du hasard illustre parfaitement cet esprit. La tournée, entamée il y a deux mois par la troupe, a mené cette dernière à la rencontre d'une audience diversifiée et dont la réceptivité n'est pas forcément la même. Voici ce que raconte cette pièce: «Promise en mariage à Dorante et afin de mieux juger de l'amour de celui-ci, Silvia obtient de son père qu'elle rencontre son prétendant sous les habits de sa servante Lisette, qui, elle, lui sera présentée comme étant la maîtresse, sauf que Dorante a eu la même idée en se présentant chez Silvia sous les habits de son valet Arlequin, devenu, à l'occasion, le maître. Lisette et Arlequin, Silvia et Dorante se donnent ensemble la comédie sociale, sous l'œil amusé du père bienveillant de Silvia, jusqu'à tomber dans leur propre piège et commencer à souffrir des masques qu'ils ont volontairement revêtus. Mais comment arracher le masque et montrer l'âme au visage?». La pièce, où au jeu impeccable des comédiens s'ajoute une mise en scène que le Bulgare Galin Stoev a axée sur le dénuement de ses personnages, se base sur le travail des quatre rôles principaux qui sortent d'un cadre pour passer à un autre. Plus qu'un masque que l'on porte à la surface, la transformation les atteint dans ce qu'ils ont de plus profond, et bien qu'ils recouvrent leurs identités initiales, plus rien ne sera comme auparavant. Les personnages sont entre le fantasque de l'apparence et la sagesse du propos. Ils captivent, étonnent et amènent à une réflexion sur la société et ses codes d'hier et d'aujourd'hui. Les costumes viennent conforter l'aspect contemporain du texte de Marivaux. En effet, tout en s'inspirant de l'époque qui a vu naître la pièce, ils ressemblent à des habits de haute couture, avec des couleurs, des lignes et des matières, davantage au goût du jour. Devant une parole omniprésente dans la pièce, la musique n'intervient que rarement, pour accompagner les scènes où l'émotion est forte, plus forte que les mots. Le décor est conçu d'après les cadres où évoluent les personnages. Des box munis de plusieurs ouvertures investissent la scène avec, dedans, des chaises façon pop art, totalement hors d'époque mais qui épousent parfaitement le reste du décor. Ces box permettent aux personnages de se rencontrer, parfois de s'isoler ou se cacher et, surtout, de suivre le rythme des dialogues. Des chaises sont également placées en dehors des box – donc, en dehors du carde — et sont utilisées par les comédiens pendant les moments de vérité ou de sincère réflexion. Quant au public, il a eu de quoi se régaler, entre le texte truffé d'humour de Marivaux et le jeu, tout en relief, des comédiens. Grâce à leur prestation, ces derniers ont conféré une légèreté à cette pièce qui a si bien traversé les siècles. Tout autant que les grands classiques revisités par la Comédie-Française, Le jeu de l'amour et du hasard incarne la continuité et le cumul historique qui on fait d'un pays comme la France une école de Théâtre. Et lorsque le génie du passé rencontre opportunément le regard contemporain, le résultat ne peut être que réussite! (*) Le jeu de l'amour et du hasard. Texte de Marivaux. Mise en scène de Galin Stoev. Interprétation : Gérard Giroudon (Monsieur Orgon), Alexandre Pavloff (Dorante), Léonie Simaga (Silvia), Pierre Louis-Calixte (Arlequin), Suliane Brahim (Lisette) et Pierre Hancisse (Mario).