Par Zouhair EL KADHI Le Fonds monétaire international (FMI) a annoncé être parvenu à un accord de principe avec les autorités tunisiennes, en vue de l'octroi d'une facilité de caisse accordée à la Tunisie pouvant aller jusqu'à 1,75 milliard de dollars. Cet accord doit encore recevoir l'aval du conseil d'administration du Fonds. Les autorités tunisiennes, soulagées d'avoir décroché un prêt du FMI, annoncent qu'il ne faut pas craindre les contreparties exigées par le FMI, que les politiques de celui-ci se sont assouplies et que de plus, le taux d'intérêt dudit prêt est très favorable à environ 1,08. A croire les autorités, les critiques d'une telle démarche sont injustifiées et la situation serait relativement bonne. Tout cela est-il cohérent ? Aujourd'hui, il ne sert à rien de dire que les choses vont bien parce que la réalité est tout autre. Nul n'ignore qu'un pays qui a recours au FMI est un pays à bout de souffle. Implicitement, l'économie tunisienne n'est peut-être pas au bord du gouffre, mais souffre de réelles difficultés extrêmement difficiles à résoudre. La plupart des indicateurs conjoncturels sont au rouge et rien n'indique qu'ils passeront au vert dans les prochains mois. La machine économique est en panne et comme le disait Abraham Lincoln : «Vous ne pouvez pas éviter les ennuis en dépensant plus que vous gagnez». Revenons maintenant à l'essentiel, et notamment le taux d'intérêt exact du prêt. Le FMI propose plusieurs types de prêts. Celui que la Tunisie a négocié est une ligne de précaution et de liquidité. Ce type de prêt dépend, comme tous les autres d'ailleurs, de la quote-part du pays en question, du volume et de la durée du prêt. Le taux du prêt est lié directement au taux d'intérêt du FMI qui est à son tour lié à celui du marché, connu sous le nom de taux de commission de base. Ce dernier est lié au taux d'intérêt des droits de tirages spéciaux (DTS). Ce taux d'intérêt est fixé chaque semaine sur la base de la moyenne pondérée des taux d'intérêt représentatifs de certaines obligations à court terme émises sur le marché monétaire des pays dont la monnaie entre dans la composition du DTS. Autrement dit, c'est un taux variable, il est actuellement de 0,08 à quoi il faut ajouter environ 100 points de base comme charge. D'où un taux de 1,08 comme l'a indiqué le ministre des Finances. Cependant, du fait que le montant du prêt représente environ 400% de la quote-part de la Tunisie au FMI, ce taux va être majoré d'au moins 200 points de base. On arrive déjà donc à un taux d'environ 3,08%. Les commissions de tirage sont aux alentours de 50 points de base pour chaque tirage et par conséquent, le taux d'intérêt va atteindre 3,58 avec un seul tirage (avec deux tirages, ce taux atteint 4,08). Au final, le taux minimum que les Tunisiens devraient payer n'est pas moins de 3,58. Sachant que l'échéance de remboursement est de 24 mois, et que tout retard implique une majoration du taux d'intérêt de quelques centaines de points de base. Le tableau en page I résume les détails du prêt. Un autre point apparaît inquiétant aux yeux des experts tunisiens, mais il faut le relativiser quelque peu. C'est, en effet, la conditionnalité qui reste sans aucun doute l'aspect le plus controversé des interventions du FMI. «Diktat financier», «ingérence inacceptable», autant de positions qui posent une question essentielle à laquelle il n'y a pas de réponse claire : jusqu'où peut aller l'action politique d'institutions économiques internationales dominées par les pays occidentaux ? Ce que l'on sait aujourd'hui des modalités concrètes d'application de la conditionnalité vient pourtant dédramatiser le débat. Il y a d'abord les pays qui acceptent des conditions qu'ils ne respectent jamais (exemple : le Pakistan). Il y a ensuite ceux qui respectent les conditionnalités..., mais qui les détournent par d'autres mesures (une bonne partie des pays africains francophones). Il y a enfin ceux qui cherchent véritablement à mettre en œuvre un programme d'ajustement et l'on sait que cela se traduit généralement par un respect de l'ordre de 50% des conditionnalités demandées. Les autorités tunisiennes devraient chercher le meilleur dosage entre les conditions du FMI et les exigences des citoyens. En définitive, l'influence du FMI ne s'inscrit pas dans un simple jeu de relations, avec une liste de conditions d'un côté et leur strict respect ou l'arrêt de l'ajustement de l'autre. C'est plutôt un jeu de négociations : le FMI fixe la barre plus ou moins haut en fonction des objectifs qu'il souhaite atteindre à un moment donné et cherche surtout à garantir le remboursement; les autorités locales cherchent à mesurer jusqu'où elles peuvent ne pas respecter les contraintes imposées, en fonction de leurs propres objectifs politiques. Plus qu'un espace de confrontation, la conditionnalité représente un espace de négociation et de compromis entre le FMI et les autorités tunisiennes.