Pourquoi peindre ? Ce questionnement que l'on peut étendre à l'art en général est considéré par plusieurs comme dépassé. Il permet tout de même d'ouvrir un débat et de l'alimenter. Il peut ériger le pont de l'échange entre un artiste et un auditoire initié ou moins initié, de différents niveaux intellectuels. A cette question posée par une étudiante, la réponse ne se fit pas attendre de la part du peintre Lamine Sassi, lors de la rencontre organisée, mardi 3 juin, en son honneur par la maison de la culture Ibn Rachiq. "Peindre est un besoin ", rétorque-t-il, avant d'ajouter : " Pourquoi manger, pourquoi boire, pourquoi aimer ! ". En le voyant s'emporter dans sa réponse, le peintre nous a donné l'impression d'être un arbre et, l'objet de son art, la sève qui circule dans ses veines et qui naît du contact de ses branches (le pinceau) avec le soleil (l'inspiration) pour dégager l'oxygène nécessaire à sa vie et à celle des autres. C'est bien là la responsabilité de l'artiste envers lui-même, son art et le monde qui l'entoure. Et c'est bien digne d'un Lamine Sassi qui a très vite abandonné l'enseignement pour se consacrer entièrement à la peinture, avec tous les aléas que cela implique de vivre de sont art. On parle d'un peintre dont la carrière ne se mesure ni par les années ni par le nombre de toiles, mais par ses nombreuses expositions et consécrations en Tunisie comme à l'étranger (médaille d'or de la Biennale du Koweït en 1989, Premier prix de l'Union des artistes plasticiens tunisiens en 1995, Prix présidentiel en 2010…). Diplômé de l'Ecole des beaux-arts en 1977, il en était à sa 14e exposition personnelle en 1998. Il est également très présent sur la scène culturelle en général et dans le milieu des arts plastiques en particulier. Lors de la rencontre animée par Noureddine Bettaieb, Lamine Sassi a été sollicité pour parler de son parcours, mais aussi en tant que témoin pour qui l'école de Tunis n'a aucun secret puisque, en quelque sorte, il en est le produit et qu'il en a été, au même titre que toutes les générations qui ont suivi cette école, influencé et imprégné. Elève de l'un de ses pionniers, Habib Bouabena qui a choisi, selon son expression, " d'être différent ", Lamine Sassi a décidé à son tour de s'éloigner du parcours classique de cette école qui tourne autour du figuratif sur les thèmes du traditionnel et de la culture arabo-musulmane pour adopter le contemporain. S'en suivit une véritable aventure qui continue jusqu'à aujourd'hui pour ce passionné de Goya dont les œuvres se distinguent par leur composition picturale et la recherche au niveau des couleurs et des effets, mais surtout par la grande poésie qui en ressort. La présence des arts est essentielle pour alimenter sa peinture. C'est ce qui constitue la mosaïque de l'inspiration et de la création. Lamine Sassi trouve ainsi toute son aise dans la " fabrication " des vers, en arabe et en français, comme dans le chant : " Ma grande maison, c'est la rue, dit-il, là où je rencontre les gens normaux, l'artiste et l'intellectuel. Toutes mes périodes de non présence de la toile sont comblées par l'écriture ". On reconnait là le souci qui hante l'artiste, celui de s'exprimer, coûte que coûte et par n'importe quel moyen. Même si, c'est vrai, il déplore par ailleurs les balbutiements, voire l'absence d'un marché de l'art en Tunisie, qui serait structuré en amont comme en aval, où les historiens et autres intervenants joueraient leurs rôles dans la définition de la cote de l'artiste, loin des spéculations que l'on connaît en Europe et aux Etats-Unis et dont beaucoup de peintres sont victimes car, le sait-on, dans l'obscurité et en l'absence de lumière, la plante, à défaut de générer de l'oxygène, dégage du dioxyde de carbone !