Par Mohamed KILANI* Le 5 juillet prochain, il aura 92 ans. Sa vivacité d'esprit est étonnante. Et, surtout, il continue à s'approprier les frustrations du peuple tunisien dans cette phase cruciale de son histoire. Mustapha Filali conserve, en effet, l'enthousiasme d'un enfant et ne cesse de réfléchir sur les moyens nécessaires pour nous sortir de cette impasse sans s'épargner des périodes de déprime devant la recrudescence des dérives de tous ordres. Jeudi dernier, au débat national initié par l'Ugtt, il est monté au créneau en mettant les uns et les autres devant leurs responsabilités, leur rappelant le double devoir d'agir et de réagir. A croire qu'il intentait invariablement à la société civile et au pouvoir public un procès pour non-assistance à nation en danger. En homme imprégné de la raison d'Etat au vu d'une longue expérience de la vie et de la chose publique — plus de 70 ans —, il ne pouvait demeurer indifférent à la dégradation d'une situation caractérisée par la cacophonie et la suprématie de la liberté au détriment de la responsabilité. Or la gravité de la situation a rendu impérieuse la manifestation d'une voix sage et écoutée pouvant faire l'unanimité ou du moins ne pâtissant d'une quelconque réserve politique ou éthique. Seul Mustapha Filali semble être cette voix d'autant qu'il ne porte aucune casquette partisane malgré les multiples sollicitations qu'il reçoit. Le vibrant appel a qu'il lancé jeudi dernier pour un nouveau départ en direction d'une paix des braves construite sur un pacte national et un projet de développement régional aux contours précisés constitue une contribution précieuse pour sortir de ce marasme qui évolue au gré des divergences politiques, notamment celles ayant trait à la Constitution et également eu égard au déferlement salafiste très préoccupant. Mustapha Filali refuse la fatalité et puise même dans le patrimoine arabo-musulman des sources d'inspiration pour marquer son authenticité et son ancrage, éveiller les consciences et proposer des recettes claires, non importées et dont l'efficacité est à court terme garantie. En véritable réformateur, il se présente désormais en sauveur, restaurant ainsi la crédibilité de l'homme politique lourdement entachée en Tunisie depuis le lynchage de Ben Salah en 1970. Il parle donc au pouvoir, à l'opposition, à la société civile et aux Tunisiens dans un langage univoque qui montre à chacun ce qui lui revient d'accomplir ou de revendiquer. S'il évoque le déficit de gouvernance, c'est sans doute pour susciter un sursaut d'orgueil chez les gouvernants, seule solution pour les acculer dans cette phase charnière meublée par des menaces qui mettent en péril la maison Tunisie. Le diagnostic de Docteur Filali était très précis et fidèle à la réalité; la thérapie proposée était elle aussi adaptée et admise par tous comme l'indique l'ovation qui a suivi son intervention. Reste aujourd'hui la bonne observance chez le patient, c'est-à-dire le pays, de la médication prescrite et du protocole arrêté. En rappelant que l'heure est aujourd'hui à l'action soutenue, concertée et efficace, Mustapha Filali insinuait que le temps perdu dans les chamailleries et le dilettantisme nous a coûté cher et que c'est maintenant le moment de décréter la fin de la récréation. Les acteurs concernés peuvent-ils encore se dérober sous prétexte que «lorsqu'il y a une avalanche, aucun flocon ne se sent responsable» ? Reste à créer les mécanismes nécessaires pour traduire dans les actes ce programme précis et concis qui intègre autant l'urgence que l'obligation de résultat avec comme impératif la synergie à créer au sein du trio sécurité-capital-travail pour relancer l'appareil de production et générer la prospérité et la stabilité. S'il est admis que la politique consiste à rendre possible ce qui est nécessaire, qu'attend-on pour matérialiser dans les faits ce principe cardinal ? Mustapha Filali refuse d'être un témoin passif de dérives politiques et sociétales en cours de stratification d'autant qu'il a gardé en mémoire la sagesse d'Einstein, lequel déplorait non pas les agissements de ceux qui font du mal mais l'attitude de ceux qui le constatent sans réagir. Il met donc l'Etat devant ses responsabilités et prend toute la nation à témoin. Va-t-on continuer à être le pays spécialiste des occasions manquées et rater encore l'opportunité de sortir de ce bourbier politico-économique ? C'est parce qu'il habite au-dessus de lui-même que Mustapha Filali hausse le ton avec l'espoir d'être écouté. D'autant que tout ce qu'il a proposé ne requiert que des conditions à la portée de tous : loyauté envers la nation et don de soi avec une vision prospective qui autorise l'espoir et ouvre les horizons à des générations en mal de repères et de motifs d'enthousiasme. Or «on meurt une première fois à l'âge où on perd son enthousiasme». Mustapha Filali surgit comme par miracle pour ressusciter cet enthousiasme tout en citant Obama, Yes we can. Ne pas l'écouter c'est persévérer dans l'erreur et l'entêtement et faillir à sa mission qui consiste à gouverner et non à administrer ; auquel cas la révolution risque de devoir attendre d'autres architectes pour s'accomplir. *(Cadre de banque)