De notre envoyée spéciale Samira DAMI Emotion, applaudissements, bravos : La vie d'Adèle a triomphé sur la scène du Grand Théâtre Lumière non seulement en raflant la Palme d'or mais en recueillant aussi considération et reconnaissance pour ses actrices et toute son équipe. Ainsi en a décidé le jury de cette édition présidé par le cinéaste américain Steven Spielberg. C'était attendu et nous avons annoncé La vie d'Adèle comme le film du festival tant le Franco-Tunisien Abdellatif Kechiche a séduit la Croisette avec cette histoire d'amour d'une rare intensité et où il capte la métamorphose d'une adolescente en quête de soi. Son style particulier entre passion, sensualité et vivacité, l'intelligence de ses dialogues, sa façon de s'approcher des visages comme pour pénétrer l'âme de ses personnages n'a laissé personne indifférent puisque la critique et les festivaliers lui ont décerné la palme du cœur bien avant que le jury ne confirme leur verdict. Nombreux sont ceux qui ont souhaité un double prix d'interprétation féminine pour les deux actrices du film, Adèle Exarchopoulos dans le rôle d'Adèle et Léa Seydoux dans celui d'Emma. Mais qu'à cela ne tienne. Le jury a préféré décerner une Palme d'or à l'ensemble du film, au réalisateur ainsi qu'à ses actrices. Très ému, entouré tendrement par ses deux actrices en pleurs pour tant de bonheur artistique, Kechiche timide et modeste comme à son habitude, contrairement à bien d'autres prétentieux, a dédié ce film à «la belle jeunesse de France» que j'ai, a-t-il déclaré, «rencontrée pendant la longue période de tournage du film et qui m'a appris tant de choses, dont la liberté». En bon Tunisien également et qui n'a jamais nié ses racines et ses origines, Kechiche n'a pas omis d'évoquer «cet acte de la jeunesse tunisienne et des jeunes qui ont fait la révolution pour réaliser leur aspiration eux aussi à vivre, à s'exprimer et à aimer librement» sous les applaudissements du nombreux public du Grand Théâtre Lumière et en présence des 5.000 journalistes accrédités à Cannes et dans l'œil des objectifs de centaines de caméras des satellitaires du monde entier. Cela vaut des milliers de fois mieux que les dizaines de milliards dépensés pour la promotion du tourisme. Un coup de pub artistique sans pareil. Encourageons l'art et le savoir, c'est seulement à travers eux que notre pays pourra briller de mille feux sous les projecteurs de la planète monde. Le réalisateur a également remercié notamment ses producteurs, dont Brahim Chioua, ainsi que toute l'équipe mais aussi le producteur et réalisateur français disparu, Claude Berry, qui, a-t-il déclaré, «m'a porté et soutenu pour que je trace mon chemin». Il a également remercié sa compagne Ghalia Lacroix, la coscénariste de tous ses films : «Mon âme sœur, a-t-il confessé, qui m'a donné les plus belles choses de la vie, Slaheddine et Shemsa». Des prix inattendus Outre la récompense suprême, le palmarès a surpris par des prix inattendus : celui du grand prix octroyé à Inside Llewyn Davis des frères Ethan et Joel Cohen, qui met en scène la vie de bohème d'un chanteur de folk dans l'Amérique des années 60. Un prix franchement immérité et nous avons dans nos précédentes critiques des films en compétition souligné les raisons. Mais le président du jury a ses raisons aussi. De son côté, Heli du Mexicain Amat Escalante était lui-même surpris de recevoir le prix de la mise en scène tant son film a été mal accueilli et sifflé même par la critique en raison de scènes outrageusement violentes filmées dans le milieu des cartels mafieux. Le prix de l'interprétation féminine octroyé à Bérénice Bejo pour son rôle dans Le Passé de l'Iranien Ashgar Farhadi a surpris tout le monde y compris l'actrice elle-même. «Je ne m'y attendais vraiment pas du tout et je remercie Farhadi pour le merveilleux voyage qu'il m'a offert à travers ce film». En revanche, le prix du jury décerné à Tel père, tel fils du Coréen Kore-eda Hirokazu est amplement mérité grâce à l'humanité qui se dégage de cette histoire d'échanges de bébés qui ont chacun vécu une vie qui n'était pas au fond la leur. Quant au prix d'interprétation masculine raflé par Bruce Dern pour son rôle dans Nebraska d'Alexandre Payne, il ne représente pas non plus une surprise puisque l'acteur américain, aujourd'hui âgé de 72 ans, et qui n'est autre que l'interprète du mythique On achève bien les chevaux était un sérieux candidat à cette récompense. La Palme d'or du court métrage a été décernée à Safe du Coréen Moon Beyoung-Gon. La 66e édition du festival de Cannes se clôt sur l'apothéose d'un réalisateur et acteur qui nous représente quelque part, ne serait-ce de par ses origines. N'oublions pas qu'il est aussi l'enfant du cinéma tunisien puisqu'il a joué dans des films tunisiens dont Bezness de Nouri Bouzid et Sandouk Ajeb de Ridha Béhi. Souhaitons à Kechiche encore plus de succès.