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«Comment faire du théâtre sans théâtre ?»
L'entretien du Lundi - Mounir Argui (homme de théâtre, directeur de la MC Ibn-Khaldoun)
Publié dans La Presse de Tunisie le 27 - 05 - 2013

L'homme est passé pratiquement par toutes les étapes de la chaîne de la profession théâtrale (régisseur, coscénariste, assistant réalisateur, comédien...) jusqu'à monter en 1996 sa première pièce. Aujourd'hui, il compte à son actif seize mises en scène dont Contrebasse qui a remporté, entres autres distinctions, le grand prix au festival du théâtre expérimental du Caire, ‘‘Parfum du pays" qui a ouvert les festivals de Carthage et de Sfax en 2000 et, la dernière en date, Ibrahim Ibn Al Aghlab, le Terrible, une production du Théâtre national.
Mounir Argui — c'est de lui qu'il s'agit — compte également des participations dans des fictions télévisuelles, outre les responsabilité administratives qu'il a assumées (directeur du Centre d'arts dramatiques du Kef) et qu'il continue d'assumer (directeur, depuis 2007, de la Maison de la culture Ibn Khaldoun. C'est à tous ces titres qu'il est notre invité de ce lundi. Ecoutons-le.
Commençons par la MC Ibn-Khaldoun. Qu'est-ce qui, selon vous, va marquer votre passage par cet espace ?
J'aimerais, d'abord, préciser qu'au départ, en 2007, j'aurais plutôt préféré la Maison Ibn-Rachiq en raison de la salle de représentations dont elle dispose ; la scène m'aurait beaucoup aidé à monter des spectacles divers (cinéma, théâtre, musique...), des foires périodiques, des colloques, etc., cependant que la Maison Ibn-Khaldoun était réputée pour les conférences d'ordre intellectuel qu'elle organisait. Il faut dire qu'à partir de 1987, il y avait eu, petit à petit, un relâchement dans ses activités, lesdites conférences étant devenues étroitement contrôlées, sous le regard du pouvoir.
En arrivant ici, j'ai misé sur les clubs spécialisés dont celui des arts dramatiques, mon intention étant de réconcilier la Maison avec les activités à caractère artistique et esthétique, ou le club des cinéphiles qui avait existé par le passé, mais qui a dû s'éclipser par la suite. Il revient avec l'Association tunisienne des réalisateurs cinématographiques qu'Ibn- Khaldoun abrite aujourd'hui. Je cite aussi l'Association tunisienne des cinéastes amateurs qui a également un pied à la Maison. En somme, je voulais que toutes les pépinières aient des racines ici. Par ailleurs, j'ai fait appel à Kamel Riahi pour continuer à animer son salon littéraire.
J'ai, par ailleurs, mis en place des clubs de théâtre avec Jamel Madani (théâtre libre), Monia Ouertani (théâtre des jeunes) et Taïeb Shili (théâtre de performance) qui, tous, ont des activités quasiment quotidiennes. Mais je tiens à préciser que j'ai assuré la continuité de toutes les activités en vigueur par le passé, auxquelles j'ai ajouté d'autres (comme le club de danse). Cela étant, il m'incombe d'organiser des colloques culturels, de grandes manifestations, et de répondre aux directives du ministère de la Culture (comme le Mois du patrimoine, par exemple). Ma fierté est d'avoir ouvert la porte à tous les créateurs, de n'avoir décliné aucune proposition. Aussi, quelque 300 pièces ont-elles été présentées depuis mon arrivée, et ce, sur proposition de troupes d'amateurs, de professionnels ou même d'élèves.
Vous avez été, un certain temps, à la tête du Centre d'arts dramatiques du Kef qui organise une fois l'an la manifestation « 24 h non-stop ». De façon générale, est-ce que tous ces centres n'ont pour vocation que d'organiser une manifestation annuelle ?
Au départ, il y avait eu le Centre du Kef, de Gafsa et celui des Marionnettes de Tunis, puis celui de Sfax, de Médnine, etc. Ces centres étaient supposés être des pôles d'attraction dans leurs régions respectives. Il faut dire que la texture des anciennes troupes théâtrales était usée, ce qui a amené l'Etat à faire en sorte que les communes et les gouvernorats contribuent financièrement à promouvoir lesdites troupes et, si l'expérience réussissait, à les prendre en charge par le ministère de la Culture, d'où donc la création de sept troupes régionales. A leur création en 1993, ces centres étaient arrivés avec une charte spécifique, ce qui les sortait du parapluie du Théâtre national. Or, ils n'avaient pas eu une existence officielle, ni la moindre mention au Journal officiel, mais seulement sur annonce faite lors d'un discours présidentiel à l'occasion de la Journée mondiale du théâtre.
Pour ce qui concerne le Centre du Kef, il avait pour mission la formation, le recyclage et la diffusion. On a monté, en deux ans, L'été Carmen (présentée aux JTC) puis La récréation des clowns. Le rêve était grand. Sauf qu'en 1995, une campagne de dénigrement nous taxant d'opposants au pouvoir a tout fait éclater. A dire vrai, la création de ces centres était une bonne chose, dans la mesure où ils étaient supposés redonner leurs lettres de noblesse aux régions. Mais, devenus suspects aux yeux du pouvoir, ils ont dû vite battre de l'aile faute de financement et d'existence légale. C'est maintenant, après la révolution, que ces centres vont peut-être avoir une chance de renaître et de rayonner, et surtout si les lois y afférentes peuvent être promulguées ; car il n'est pas possible de se contenter d'une pièce par an du côté de la TVT ou du TNT, sachant que les sociétés de production privées ne disposent même pas de locaux propres. J'estime que le ministère de la Culture est aujourd'hui appelé à relancer la dynamique théâtrale dans le pays en réhabilitant, sur des bases légales, les centres en question.
A la lecture de votre CV si riche, on se demande si vous ne pensez pas à un grand projet qui soit le couronnement de votre carrière...
Je rêve, en effet, de monter une vraie comédie musicale, car c'est un genre encore occulté chez nous. Je pense même, mais dans la limite du possible, à trois comédies du genre, destinées aux enfants, à la jeunesse, donc de type très moderne, et aux adultes à qui je raconterai la Tunisie. Je suis très tenté par cette expérience où je serais amené à conjuguer théâtre et musique, un grand show donc, car jusqu'ici je suis resté seulement réalisateur de théâtre. Par ailleurs, je suis tenté de monter une grande pièce qui s'adresse à la fois à l'élite et à la masse populaire, une pièce que chacun puisse lire à sa manière et qui, donc, soit accessible à tous.
Proposer, deux ans après la révolution, Ibrahim le Terrible au public, n'est-ce pas un peu risqué? Pourquoi est-ce que le théâtre, hier comme aujourd'hui, reste déconnecté de la réalité quotidienne? L'Histoire, est-ce notre priorité du moment ?
Je ne suis pas d'accord avec vous. A mon avis, jamais la Tunisie n'a eu autant besoin d'Histoire que maintenant. Car le Tunisien est oublieux de nature, et a été habitué à l'élimination de la mémoire collective, donc de l'identité tout court. Si l'homme de culture (théâtre, cinéma, littérature...) ne se soucie pas de rafraîchir cette mémoire collective, qui le ferait ? Nous serions alors un peuple sans racines. La culture et l'art se doivent de rappeler ses origines et son identité à l'individu. L'Histoire est le trait d'union entre le passé, l'actuel et le futur. Ibrahim le Terrible traite de la violence politique: ne sommes-nous pas en plein dans l'actualité, tout en étant partis du passé, de notre Histoire ? La pièce montre que l'homme politique n'est pas forcément dictateur, mais que la cour, l'entourage ou le système corrompent et en font un dictateur. Ne sommes-nous pas dans l'Histoire récente de la Tunisie ?
Après le rayonnement qu'a eu le Théâtre national les premières années qui ont suivi sa création, il a connu une sorte de régression, sinon d'isolement, après le départ de Moncef Souissi. Comment voyez-vous le TNT avec, puis après, Mohamed Driss qui a pris la relève, pendant de longues années ?
Je cite l'un des personnages de ma dernière pièce qui dit: «On s'était attendu à beaucoup de bien de votre part, Monsieur !». Avec Mohamed Driss, on s'était attendu à ce que l'expérience théâtrale gagne davantage en rayonnement, à la mesure du grand artiste qu'il est. Or, au bout de quelques années, il y a eu une espèce de marasme, et de...fermeture. C'est bien beau de monter Mourad III, mais cela aurait été mieux de s'ouvrir aussi sur l'ensemble des artistes, ceux de l'intérieur de la République, notamment. On ne peut que lui reprocher de n'avoir pas donné leur chance aux jeunes au niveau de la production. En 1988, je voulais fonder au TNT le Jeune théâtre national, mais j'ai dû quitter le TNT au bout de six mois pour n'avoir pas réussi à réaliser mon vœu. Je sais, par exemple, que de nombreux projets ont été proposés à l'époque au TNT et qu'ils sont restés lettre morte, alors que d'autres, tout juste modestes, ont été acceptés, et ce, pour des raisons que j'ignore.
En revanche, je ne peux que remercier Anouar Chaâfi, l'actuel directeur de cette institution, d'avoir ouvert la porte devant tout projet qui se respecte. D'ailleurs, il a sorti un communiqué faisant savoir que le TNT ouvre la voie aux créateurs, sous réserve que le dossier soit convaincant, bien sûr. De la sorte, Anouar Chaâfi est en passe de créer un marché, donc des opportunités de travail énormes. Je n'exagère pas si je vous dis que ma dernière pièce a fait travailler une bonne centaine de personnes. C'est là, la contribution du théâtre de l'Etat à la dynamique économique.
Qui dit théâtre en Tunisie, dit toujours et essentiellement, Aly Ben Ayed, Moncef Souissi et Fadhel Jaïbi. Sont-ce les seules icônes reconnues ?
La valeur artistique de ces trois hommes est incontestable, c'est un fait. Mais il me paraît que cela relèverait de l'ingratitude que de renier tous les autres noms qui ont fait le théâtre tunisien. Se peut-il qu'on passe sous silence Hamda Ben Tijani, Abdelmajid Lakhal, Noureddine Qasbaoui, Mouna Noureddine, Narjess Attia ou encore Halima Daoud? Ce sont là de grands noms qui ont beaucoup aidé Aly Ben Ayed dans son parcours. Pour ce qui est de Moncef Souissi, pourquoi ne pas citer également Mohamed Ben Othmane, Khédija Souissi, Aïssa Harrath, Lamine Nehdi, etc. ? Ceux que vous citez étaient effectivement des pôles dans la mise en scène, et c'est probablement pour cela qu'on ramène tout à eux seuls. Ce qui me dérange dans tout cela, c'est cet esprit de l'unicité : tel est unique, tel autre est unique, comme si, à eux seuls, ils ont fait le théâtre tunisien, sans comédiens, sans scénographes ni rien. Nous devrions changer cette culture de l'unique. Mais je suis persuadé que dans quelques petites années, on sera obligé de citer une bonne centaine de noms au lieu de trois.
A travers son Histoire, le théâtre tunisien ne semble pas être allé à un moment ou un autre dans un mouvement général, ce sont toujours des expériences éparses, individuelles, qui ne se retrouvent jamais sous un même parapluie...
C'est faux. A ses débuts, avant l'Indépendance, le théâtre tunisien visait la libération à dessein de sensibiliser à l'identité arabo-musulmane. Et c'était tout un mouvement dont je cite Mohamed Lahbib, Abdelaziz Agrebi, Mahmoud Bourguiba et Bourguiba lui-même. Puis, dans un deuxième temps, il y a eu l'ouverture sur les grands classiques universels avec Aly Ben Ayed auquel a succédé une autre mouvement théâtral, qui a fait deux pôles, l'un à Gafsa, l'autre au Kef, et qui est resté un théâtre épique dont le souci est de lui faire découvrir son mal à la société. Il y a eu ensuite l'approche, résolument moderne, du Nouveau théâtre qui est marquée par la recherche, mais toujours dans la quête de l'identité.
Il est, toutefois, vrai que nous n'avons pas fondé une école artistique. Peut-être qu'à quelque chose malheur est bon, car nous sommes dans la diversité : il y a le classique qu'on pourrait destiner aux élèves, il y a le théâtre pour enfants dans lequel on voudrait voir les artistes de demain, etc. C'est, à mon avis, ce qui a fait la richesse du théâtre tunisien.
Toutefois, nous avons un point commun : un théâtre à rythme fort, à masques, à grande gestuelle et exponentielle; haut en couleur. Le cumul de toutes nos expériences pourrait déboucher un jour sur une école, sans perdre de vue que notre théâtre est tout juste centenaire, donc encore jeune, nous n'avons pas des siècles de théâtre.
Et malgré tout, nous sommes des pionniers dans le monde arabe ne serait-ce que pour avoir en Tunisie le théâtre scolaire et le théâtre universitaire. Mais dans le même temps, nous sommes frustrés : est-ce logique que depuis l'Indépendance nous n'avons pas construit un seul théâtre ? Est-ce logique que de nombreuses pièces se répètent et se jouent dans une maison de la culture ? Est-ce normal d'avoir une infinité de stades, de terrains de foot ou autres, et même des salles couvertes pour diverses disciplines sportives, mais pas un seul théâtre autre que la Bonbonnière ? Mais comment faire du théâtre sans théâtre ?!


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