C'est une belle tradition consacrée par la maison de la culture Ibn-Rachiq que d'inviter des figures de proue de la scène culturelle tunisienne dans des rencontres-débats avec le public. Jeudi dernier, c'est l'acteur et metteur en scène Moncef Souissi qui était à l'honneur. Animé par le poète et journaliste Noureddine Bettaïeb, ce nouveau rendez-vous de "Mouhawarat" était autant intéressant que l'était l'invité principal. Et comment! Il s'agit bien de l'une des pierres angulaires du quatrième art dans notre pays. Un artiste dont le talent et la compétence lui ont valu une reconnaissance et une renommée en Tunisie et dans le monde arabe. Un artiste connu également pour son franc-parler, ses prises de positions tranchées et son humour si caractéristique. Bref, Moncef Souissi est un personnage à part, aussi bien dans la vie que sur les planches! Dans une ambiance conviviale et devant une assistance, certes peu nombreuse, mais de qualité, il est venu parler de sa longue expérience dans le domaine théâtral, ou plutôt de toute une vie consacrée et vouée au quatrième art. L'une des particularités de Moncef Souissi, c'est qu'il sème le théâtre là où il va ! Et il a fait de la création des structures théâtrales son credo. La Maison du théâtre, les troupes du Kef, de Kairouan, de Gafsa, le Théâtre national, les Journées théâtrales de Carthage, le Festival méditerranéen du théâtre de La Goulette, l'Organisation arabe du théâtre et, récemment, la Fédération du théâtre amateur, eh bien, c'est lui. Cela, et sans parler des troupes qu'il a fondées dans de nombreux pays arabes du Golfe et des nombreuses productions qu'il a montées en Orient. "Je me suis toujours intéressé, même en étant professionnel, au théâtre scolaire et estudiantin, et cru au théâtre amateur. J'ai d'ailleurs travaillé à créer des noyaux théâtraux pour les jeunes un peu partout au fin fond du pays. Ceci est né d'un sentiment de citoyenneté et d'une profonde conscience de l'importance de l'art pour un pays", explique Moncef Souissi. Cette réflexion l'a amené à évoquer, sans mâcher ses mots, la situation actuelle du quatrième art en Tunisie et dans le monde arabe, qu'il trouve déplorable et souffrant de nombreuses carences. "Le théâtre arabe est arriéré. Nous n'avons pas de traditions dans ce domaine. Nous n'avons pas pris l'habitude de critiquer et de discuter les pièces — ce qui se faisait à un certain moment dans notre pays—, le spectateur est incapable de décoder le message transmis par l'artiste et les budgets alloués sont insuffisants", juge-t-il. Fervent défenseur du théâtre collectif, Moncef Souissi n'a pas pu s'empêcher, pendant cette rencontre, de critiquer le one-man-show qui, par sa dominance sur le paysage artistique, est passé d'un simple genre à un véritable phénomène. Pour lui, c'est le fruit du système capitaliste, l'expression de la montée de l'égoïsme et de l'individualisme et la volonté d'écarter les compétences, bien qu'il admette que les problèmes financiers des artistes en soient l'une des causes principales. Moncef Souissi a également parlé, avec un ton toujours passionné, de la relation de l'artiste au pouvoir et à l'auteur, mais aussi de l'importance du texte dans la création théâtrale et réaffirmé son maintien de l'utilisation de la langue arabe classique dans ses créations. Pour terminer, il a expliqué que le théâtre est l'un des critères d'évolution les plus importants d'un pays. Vu son rôle dans une société, il doit porter dans ses girons un projet, une idée et une vision esthétique et être le reflet de plusieurs sensibilités artistiques et de courants de pensées différents. Si Moncef Souissi a une longue carrière derrière lui, jalonnée de succès, mais aussi de quelques erreurs, il est loin d'être cet artiste "à la retraite" qui vient témoigner de son parcours et évoquer les souvenirs de son passé glorieux. Au contraire, il semble avoir des projets plein la tête et qu'il continuerait à militer pour le théâtre amateur, surtout.