«Par le passé, 90% de l'enveloppe des incitations avait bénéficié à seulement 10% des entreprises éligibles» Malgré la générosité des avantages financiers et fiscaux, l'actuel code des incitations aux investissements n'avait pas permis de réaliser les objectifs escomptés, particulièrement en termes de développement régional. Le gap d'investissement dans les régions, ainsi identifié, remet en cause non seulement la batterie d'avantages mais aussi l'approche adoptée pour l'élaboration du code de 1993. Dans cette perspective, la méthodologie de conception du nouveau code de l'investissement prévoit la participation des régions. D'ailleurs, le projet de la constitution de l'économie, comme le qualifient plusieurs experts, passe au stade des consultations régionales. Dans ce cadre, le ministre du Développement et de la Coopération internationale, M. Lamine Doghri, s'est déplacé, récemment, avec une équipe d'experts et de techniciens à Tabarka pour participer à une première journée de consultation avec les représentants des six gouvernorats du nord et du nord-ouest. Deux autres consultations régionales sont programmées pour le centre et le sud du pays. Les techniciens du comité exécutif pour l'élaboration du nouveau code ont présenté les grandes lignes de ce projet, à savoir l'accès au marché local, les garanties des investisseurs, les incitations aux investissements... Et en retour, les représentants des régions ont évoqué leurs réserves et propositions pour ce nouveau projet ainsi que leurs revendications en matière d'infrastructure. Le ministre a rappelé que l'ancien code n'est pas parvenu à acheminer les investissements vers les régions. «Ce qui a freiné l'intégration de ces zones dans les circuits économiques et a généré un sentiment de marginalisation de ses habitants», ajoute-t-il. Partant de ces constats, un nouveau code qui apporte des réponses à toutes les insuffisances de l'actuel cadre juridique des incitations aux investissements est «obligatoire et prioritaire», estime-t-il. Et de renchérir: «Plusieurs économistes le qualifient de constitution de l'économie». Par ailleurs, souligne-t-il, ce projet ferait l'objet de révision, à la lumière des propositions dans le cadre des consultations régionales. De même, un forum en ligne serait mis en place pour recueillir les propositions sur ce projet de code, déjà publié sur le site du ministère. Pour sa part le chef du comité exécutif pour l'élaboration de ce code, M. Karim Jamoussi, a mis l'accent sur le caractère consultatif et participatif dans la réalisation de ce projet. Ce nouveau code, estime-t-il, apporterait des réponses à toutes les questions des investisseurs potentiels. De même, la méthodologie adoptée est de nature à envoyer de nouveaux messages rassurants aux investisseurs. «Une nouvelle Tunisie de la transparence et de la bonne gouvernance», avance-t-il. Sur un autre plan, ce nouveau projet vise à la simplification et l'allègement des procédures administratives, voire la mise en œuvre de l'interlocuteur unique pour chaque investisseur. A cet égard, il est à rappeler que la multiplicité des intervenants, agences, conseils et services publics, est de nature à générer une redondance des documents exigés pour un même dossier. Et ce n'est pas tout. Il faut imaginer le parcours à faire par le promoteur d'un projet intégré de transformation de produits agricoles, dont il est producteur, et qui offre l'hébergement et certaines activités de tourisme écologique. Entre les ministères de l'Agriculture, de l'Industrie et du Tourisme ainsi que leurs ramifications régionales et administratives, ce promoteur passerait plus de temps à confectionner des dossiers qu'à la gestion de son projet. Les techniciens ont évoqué l'alternative de rassembler toutes ces agences en un seul comité national d'investissement. A ce bras institutionnel s'ajouterait, probablement, un bras financier en fusionnant les multiples fonds et structures de financement. Pour ce qui est des avantages financiers et fiscaux, la nouvelle approche cumulative de l'octroi de ces avantages permet de mieux cibler les activités et les régions bénéficiaires. «Par le passé, 90% de l'enveloppe des incitations a bénéficié à seulement 10% des entreprises bénéficiaires», avance l'un des techniciens du comité exécutif. Pour pallier cet écart, la méthodologie consiste à regrouper les incitations qui avaient fait leurs preuves dans un seul code. Réagissant à ces interventions, un agriculteur de la région de Jendouba s'est interrogé: «Pourquoi on a écarté l'agriculture de ce code?». De même, «la sécurité alimentaire ne figure pas parmi les priorités de ce code», a-t-il critiqué. Du côté de Bizerte, une jeune dame s'est inquiétée de la révision des incitations accordées aux exportateurs, qui constituent une bonne part du fichier des investisseurs de sa région. «Au lieu d'orienter les exportateurs vers les régions, les exportateurs vont fuir pour s'implanter sous d'autres cieux», renchérit-elle. De la même région, un jeune promoteur a mis l'accent sur les manœuvres qui ont permis à certains de spéculer sur les terrains des zones industrielles. «Sans projet à l'appui, on acquiert un terrain, on construit un local pour le louer par la suite», explique-t-il. Résultat : des zones industrielles avec des locaux vides. D'autres participants ont manifesté leur mécontentement de ne pas avoir des copies du projet avant cette journée d'étude. Enfin, on ne cesse de rappeler que le code, à lui seul, ne pourrait assurer l'orientation des investissements dans les régions. L'infrastructure, la paix sociale, la qualité de la vie, la logistique, la qualité de la main-d'œuvre... autant d'éléments à soigner pour mettre en place des politiques de promotion des investissements. Décentralisation et développement régional : Défis et perspectives Une rencontre a été organisée hier à Sfax sur le thème «La décentralisation et le développement régional: défis et perspectives», à l'initiative de l'Association tunisienne pour la culture et la créativité. Le constituant Badreddine Abdelkefi a indiqué que le nouveau projet de la Constitution consacre le principe de la décentralisation, «un des principaux fondements de la révolution», a-t-il dit, relevant l'absence de la notion de décentralisation dans la Constitution de 1959. Il a expliqué au correspondant de l'agence TAP qu'un chapitre a été consacré dans le brouillon de la nouvelle constitution à la question de la décentralisation avec l'adoption du principe de l'élection des structures régionales et d'une démocratie participative. De son côté, Hichem Guidara, président de l'Association tunisienne pour la culture et la créativité, a souligné l'importance de la décentralisation et de la démocratie participative. Le débat a particulièrement porté sur l'absence d'une vision claire et étudiée de la question du développement régional, des problématiques posées par la centralisation aux différents niveaux de décision, outre le problème de la détérioration de l'environnement. Un appel a été lancé en vue de l'adoption du modèle de grands pôles de développement et de rompre avec l'ancien modèle fondé sur la corruption. Cette approche permettra d'accorder une plus grande importance aux régions en tant que creuset pour la création de richesses et qui ne seront plus considérées comme un fardeau pour l'Etat.