Dérangeant, voire embarrassant, est le propos de Elle ne pleure pas, elle chante, le film adapté du roman éponyme de la romancière française Amélie Sarn, programmé dans les Journées du cinéma européen et projeté avant-hier, à l'espace Mad'Art. C'est au sujet tabou de l'inceste que le réalisateur, Philippe de Pierpont, s'est attaqué. Ce film qui a déjà fait l'objet d'une adaptation en bande dessinée par Corbeyran et Thierry Murat en 2004, a été largement soutenu par de nombreuses associations d'aide aux victimes des agressions incestueuses. Mais au-delà du sujet lourd du film, loin du trait dur et épais de l'histoire, le réalisateur belge fait bel et bien acte de cinéma, avec ce corps et cette voix d'un être en souffrance qui nourrissent toute la structure du film. Elle ne pleure pas, elle chante s'ouvre sur un sexagénaire, écoutant de la musique et roulant au volant de sa voiture, sur une route plongée dans l'obscurité de la nuit. A un moment, il s'arrête sur le bas-côté pour vérifier les roues de sa voiture quand, soudainement, une camionnette le fauche. Au plan suivant, on le voit sur le lit d'un hôpital, plongé dans le coma. Sa fille, Laura, est là. Elle voit cette situation dramatique comme une bénédiction : une occasion de cracher enfin sa haine pour cet homme aux pulsions sombres qui l'a abîmée pour toujours, une occasion de ne plus jamais avoir à le craindre. Commence alors un règlement de comptes où seule la parole de Laura détermine tout. Elle se venge de ses années de silence amer en se vidant de toutes ses peines et de tout son traumatisme. La parole est un acte fondateur dans la construction de l'individu et dans sa capacité d'évolution. Dans Elle ne pleure pas, elle chante, la superbe actrice belge Erika Sainte, qui campe Laura, verbalise sa souffrance et son amertume face à un "monstre" privé de droit de réponse. Ce faisant, elle va doucement s'offrir une seconde naissance. Ce processus lent et fastidieux conditionne le rythme du film et sa mise en scène. En prenant possession de la parole, Laura brise la loi du silence avec son entourage pour pouvoir se reconstruire. Après avoir pris ses distances pendant de nombreuses années avec sa famille, elle se rapproche à nouveau d'elle. Elle affronte alors la froideur brutale d'une mère qui accuse sa fille d'avoir "plein d'imagination", une attitude à laquelle s'oppose l'émotion sincère d'un frère, soudain submergé par un sentiment de culpabilité pour son aveuglement et son impuissance. Un film froid et lourd par son sujet qui, malgré ses atouts techniques, a peiné à plaire à la majeure partie du public. Mais on lui reconnaîtra, cependant, le courage d'avoir abordé une réalité taboue et contribué à libérer une parole salvatrice.