Par Khemais FRINI* La loi d'exclusion instaure une discorde nationale. Elle confirme l'idée d'un «despotisme d'Assemblée» Une bonne partie de la classe politique, avec à sa tête le parti islamiste Ennahdha et ses fidèles compagnons du Cpr de M. Marzouki et ses dérivés, cherche à faire passer une loi censée apparemment °immuniser° la Révolution. Immuniser la Révolution, après avoir réussi à la déposséder de toutes ses belles valeurs démocratiques et de justice sociale, ce n'est peut-être pas trop tard, mais l'immuniser contre qui, contre quoi et de quelle manière. Ces partis au pouvoir, eux, choisissent la manière la moins démocratique. Une loi émanant d'un despotisme d'Assemblée ! Vu qu'ils sont majoritaires, ils envisagent de faire voter une loi dans leur propre intérêt. C'est ce qu'on appelle : un despotisme d'Assemblée. Avec cette loi, il sera question d'exclure des dizaines de milliers de citoyens de la vie politique et de les empêcher de servir leur pays, et ce, depuis le gouverneur de la Banque centrale jusqu'au petit chaouch d'administration en passant par les directeurs généraux, les universitaires etc... Des milliers de cadres administratifs, techniques, économiques et politiques, ayant participé durant plusieurs générations à la construction de l'Etat moderne, seront exclus de la vie publique. L'opinion publique est convaincue dans sa majorité que cette loi est faite pour baliser à ces partis le chemin pour les prochaines élections vers le pouvoir. D'ailleurs, les initiateurs de cette loi ont du mal à prouver le contraire. Ce faisant, ils font en réalité deux choses démocratiquement inacceptables: D'une part, ils exercent leur diktat sur leurs propres électeurs. Ils se retournent précisément contre leur volonté en décidant, en leur lieu et place, d'exclure de manière unilatérale des citoyens tunisiens de la vie publique. Il s'agit, là, d'une conspiration et d'un manque de respect pour le corps électoral. Et d'autre part ils vont faire voter un jugement collectif d'une manière absolutiste: un jugement pris par l'autorité législative et non point par le magistrat. Cette fois-ci, le manque de respect se situe vis-à-vis du corps judiciaire dans son intégralité. Cette loi est donc une atteinte manifeste au principe démocratique de séparation des pouvoirs. De même, la loi d'exclusion consistera à remplacer un groupe d'hommes qu'on soupçonne de despotisme et de corruption, un soupçon qu'on ne peut confirmer faute d'examen judiciaire. Le remplacer par un autre groupe d'hommes dont on ne connaît pas à l'avance les «compétences» en matière de despotisme et de corruption en dépit de certains signes alarmants. La loi d'exclusion, elle, instaurera dès son adoption une discorde nationale douloureuse de longue durée et sans issue. Elle ouvrira toutes les portes à d'autres exclusions futures.. La Constitution en cours, si elle est maintenue, permettra le recours aux exclusions répétitives. En effet, l'article 47 dispose que «Les droits de vote, de suffrage et de candidature sont garantis selon ce que précisera la loi» Sur le journal la Presse du 6 mai 2013, j'avais fait remarquer que : «Selon cet article (47), n'est pas électeur qui veut. Ce droit d'être électeur est garanti selon ce que veut bien prévoir la loi. Comme nous sommes sur le point d'institutionnaliser les lois d'exclusion, personne ne trouvera rien à redire si demain, une majorité au Parlement décide de poursuivre dans la même voie. Une loi d'exclusion peut donc en appeler une autre et être votée par la majorité de l'instant. .... Les élus ont le loisir, une fois à l'Assemblée, de préparer °leur ° loi d'exclusion pour remercier une partie de ceux-là mêmes qui les auront élus et les dépouiller de leur droit°° L'alternance au pouvoir, qui est une culture démocratique, sera remplacée par la vengeance et les règlements de compte qui est plutôt une culture mafieuse : et l'Etat de droit de se transformer en Etat partisan. A contrario, la justice transitionnelle, quant à elle, s'attaque aux mécanismes de la corruption. La justice transitionnelle introduit la paix sociale Quand toutes les étapes de la justice transitionnelle auront été franchies et réalisées, celle-ci finit toujours par la concorde nationale .Le pays se mettra au travail et les lendemains seront bien meilleurs, quelle que soit la majorité au pouvoir. Les Tunisiens vivront en symbiose totale et donneront un bel exemple à ce sujet, suivant ainsi les traces de Mandela, à une date historique du destin de ce grand militant de la liberté et de l'égalité entre les hommes La révolution ne sera immunisée que lorsque ses nobles objectifs, à savoir : liberté, dignité et justice sociale seront réalisés. A commencer par la liberté des islamistes eux-mêmes, et la garantie dont ils ont besoin de ne jamais plus connaître les affres du despotisme. Ce n'est pas en adoptant des lois liberticides qu'ils s'assurent, à eux-mêmes et à leurs familles, liberté et dignité. Ce paradoxe que j'avais souvent relevé dans mes écrits a été partagé, par simple coïncidence, par le vice-président d'Ennahdha, Monsieur Abdelfattah Mourou. Voulant de son côté appeler aux mêmes valeurs de liberté lors du trente-deuxième anniversaire de son parti il avait été honteusement conspué. Un évènement qui ne doit pas passer inaperçu car, s'il se confirme et se perpétue, il promet l'émergence d'un parti avec des relents contraires aux libertés : autrement dit, un parti fascisant. Les cadres d'Ennahdha doivent avoir le courage d'endiguer l'enthousiasme de leurs fans, quitte à procéder à des ajustements idéologiques et à des autocritiques. Ils sauveront ainsi à la fois le pays et leur parti qui devra continuer à représenter un repère pour de nombreux de ses adeptes. *(Ingénieur)