Le projet de loi d'immunisation de la Révolution, proposé par 71 membres de la Constituante appartenant à plusieurs groupes a été discuté et adopté par la commission de la législation au Palais du Bardo. Il attend d'être soumis et passé au crible en plénière pour sa discussion et son adoption qui ne pose de problèmes numériquement parlant. Toutefois, ce projet suscite toujours des débats controversés. Le Centre d'Etudes Islam et Démocratie a organisé dernièrement (CSID) avait organisé dernièrement une rencontre-débats sur ce sujet. Une cinquantaine de personnalités appartenant à plusieurs familles et sensibilités politiques et intellectuelles, des constituants, académiciens, responsables d'associations ont animé le débat. Dr. Abdellaziz Messaoudi, dirigeant à Al-Massar, a précisé que ce projet de loi porte une grave atteinte aux droits de l'Homme. Il a noté que ce projet est une sanction collective à l'encontre des personnes dont l'implication dans des crimes provenant de leur appartenance au RCD dissout, n'a pas été prouvée. Il considère que la Révolution a certes besoin d'être immunisée et ce, en se consacrant à réaliser les revendications du peuple lors de son soulèvement contre l'injustice et la pauvreté. Il ne s'agit pas d'exclure un grand nombre de citoyens et de les priver d'exercer leurs droits politiques et sociaux. Dr. Messaoudi, considère que l'immunisation de la Révolution ne doit pas se faire en dehors de la justice transitionnelle, sinon elle servira des objectifs politiques de ceux qui veulent exclure des concurrents politiques. L'immunisation de la Révolution ne doit pas se limiter à certaines parties, elle doit englober tous les dangers qui menacent la Révolution. Il faut s'écarter de la logique de l'exclusion opposée et contraire aux principes élémentaires de la Démocratie et menace la transition démocratique tout en vidant la justice transitionnelle de son contenu. Me Nebil Labbassi, analyste politique considère que la loi de l'exclusion politique est une procédure préventive initiée par la plupart des révolutions dans le monde pour protéger les transitions de l'échec et du retour de la dictature. Il considère que faute d'immunisation, la Révolution peut être récupérée par les figures du passé et l'ancien système peut se reproduire, vu la fragilité de la transition démocratique. L'avocat pense qu'il faut mettre en place les mécanismes et les structures qui permettent d'éviter l'hégémonie de n'importe quel pouvoir, ou d'une personne ou d'un parti. Il faut respecter l'Etat de droit et créer une Cour Constitutionnelle. Il a rejeté en bloc les arguments de ceux qui qualifient le projet de loi d'opération purement politique consacrant l'exclusion. « C'est une opération préventive, qui consiste à geler ne serait-ce que provisoirement, les activités politiques des symboles de l'ancien régime et tous ceux qui ont été impliqués dans le système de corruption ». Sihem Ben Sedrine, activiste dans les Droits de l'Homme et présidente du Conseil National des Libertés, considère que la garantie de réussite de la Révolution réside dans l'édification de la Démocratie et de l'Etat de Droit. Elle pense que la loi d'immunisation de la Révolution, ne doit pas sortir du cadre de la justice transitionnelle. Elle ne doit pas être instrumentalisée contre des personnes ou des groupes pour les exclure pour des raisons politiques et des calculs électoraux. Le Conseil National des Libertés qu'elle préside, rejette ce projet de loi, parce qu'il consacre une punition collective basée sur l'appartenance. « Le RCD n'est pas seulement un parti, il est une pratique politique, que le parti au pouvoir est en train de reproduire avec les mêmes erreurs, pour en faire un deuxième RCD », dit-elle. Kamel Ben Ammar, dirigeant à Ennahdha considère que le projet de loi comporte un caractère préventif qui précède la justice transitionnelle et garantit son succès. Il pense que certains symboles de la corruption doivent être exclus et éloignés de la scène politique, car on ne peut leur confier les institutions de l'Etat. Il a insisté sur le fait que la réussite de la justice transitionnelle ne peut se faire qu'en neutralisant ces symboles qui avaient comploté contre l'Etat. Il a nié toute contradiction entre ce projet de loi et la démocratie, car toutes les révolutions dans l'histoire, avaient pris des mesures préventives pour s'immuniser. Quant à Samir Ben Amor, dirigeant au CPR, il pense que ce projet de loi est un « besoin vital » pour protéger la Révolution des symboles de l'ancien régime qui se sont ressuscités et réorganisés dans de nouveaux partis après la Révolution. « Ce projet de loi est une nécessité pressante avant de passer à l'étape de l'édification démocratique ». Comme tous ceux qui défendent ce projet de loi, il pense qu'il ne fait pas obstacle aux droits de l'Homme. Belagacem Hassen, secrétaire général du Parti de la Culture et du Travail, Sana Morsni, membre de la Constituante, Tarek Ben Azzouz, membre de la Ligue Nationale de Protection de la Révolution, Fayçal Jadlaoui, Kalthoum Badreddine et Abdellaziz Châabane ont abondé dans le même sens pour défendre le projet de loi d'immunisation de la Révolution. Quant à Noureddine Hached, président de la Fondation Farhat Hached, il a rappelé que la Tunisie a ses propres références. Elle n'a que faire des références internationales, pour immuniser sa Révolution. Il pense que la Justice transitionnelle doit toucher tous ceux qui avaient collaboré avec le colonialisme. Kamel Morjène, président du parti Al-Moubadara dira que ce projet de loi est contraire aux principes démocratiques, car chaque individu ne représente que sa personne. Celui qui s'active dans un parti ne doit pas assumer la responsabilité de l'ensemble des adhérents. « La justice est la seule partie habilitée à délimiter les responsabilités et sanctionner ceux qui ont commis des crimes avec l'ancien régime. La sanction ne peut être qu'individuelle et non collective. Celui qui a été membre au RCD, n'est pas forcément voleur, corrompu ou menteur », souligne-t-il. Il est favorable à l'application de la justice transitionnelle et pense que l'avenir du pays ne pourra être édifié qu'avec un minimum de consensus. Mokhtar Yahyaoui, magistrat qui avait été réprimé par Ben Ali, considère que le projet de loi consacre les sanctions collectives. Il ne respecte pas les principes élémentaires de droit. Il a rappelé le message de Mandella qui avait appelé les Tunisiens à viser l'avenir et éviter de tomber dans les pièges sinueux des marécages du passé. Il a recommandé d'éviter toute approche sentimentale du destin du pays. Quant à Mohamed Mahfoudh, constitutionnaliste, il a considéré le projet de loi comme un prolongement de la mentalité de l'ancien régime. Il a noté qu'il est en rupture totale avec la Révolution qui ambitionne de créer l'Etat de Droit et des Institutions. Il considère que le projet de loi est une carte politique utilisée pour faire durer la période transitoire et détourner l'opinion publique des problèmes fondamentaux comme l'emploi, la dignité, la promotion sociale et culturelle. Il pense que ce projet de loi est inapplicable car il va submerger l'ISIE et la justice d'opérations complexes.