Par Hamma HANACHI Souvenir. Quelques années avant les révolutions arabes, Lampedusa n'occupait pas le devant des écrans. Un morceau de terre, entre la Tunisie et la Sicile, 6.000 habitants qui vivent de la pêche et du tourisme, l'îlot n'avait pas encore la réputation sulfureuse d'escale pour clandestins. Un reportage d'une chaîne française montrait l'île par temps d'été, chaleur et rues désertes; un habitant, buraliste, nageant dans la sueur;interviewé, il évoque les naufragés, les cadavres, le malheur des migrants. Humain, il justifiait les jeunes qui fuyaient la misère: «Nous, Italiens, principalement du sud, il y a moins d'un siècle, étions dans le même cas, nous partions jusqu'aux Etats-Unis pour chercher notre pain; aujourd'hui, nous avons tendance à l'oublier parce que nous vivons dans le bien-être». Cet habitant au cœur d'or traînait les corps rejetés par la mer, il s'est réservé un terrain où il les enterrait en apposant un numéro sur chaque tombe, la rehaussant d'une croix. Mieux, il vient régulièrement arroser la terre. La journaliste, étonnée par ses actes, pose la question attendue : «Une croix, mais la plupart sont de religion musulmane... ». « Ce sont des humains, des frères; moi, je ne connais par leur rituel d'enterrement, mais je ne veux pas qu'ils meurent dévorés par les poissons ou dans l'anonymat; nés de la terre, nous revenons à la terre». Son visage reflétait l'émotion de l'humain qui partage le malheur des gens d'en bas, les migrants et les miséreux, il a la tête gracieuse de ceux qui ont fréquemment assisté aux spectacles vivants du malheur. Touchant d'humanité ! Lundi 8 juillet. François, le récent pape, élu en mars dernier, a réservé son premier déplacement à Lampedusa. L'Argentin est réputé pour sa proximité avec les fidèles et croit au rôle de l'Eglise dans le sauvetage du monde. Pas de déclarations fracassantes pendant des mois, pas de prises de positions tapageuses et puis... à quelques jours du mois de Ramadan, il décide d'entamer son premier voyage de Rome qu'il consacre à Lampedusa. Une tournée qui a fait la « une » des télés et des radios. Tout un symbole. Visite sans précédent. Assis sur une vedette, flanqué de gardes-côtes du port, une prière, des paroles généreuses, anticonformistes. Devant le monument dressé à la mémoire des naufragés, il lance une couronne de chrysanthèmes en mer, en hommage aux victimes perdues en mer. Le pape voulait fustiger les riches, les tenants du pouvoir financier qui, par leurs actes, leurs politiques économiques, excluent leurs frères en les obligeant à fuir leur pays en proie aux guerres et à la misère. Pauvre et migrant de surcroît, on est dénigré, stigmatisé. Hasard, le jour même de la visite du pape, un bateau a été secouru par les gardes-côtes italiens avec 165 migrants à bord. L'homélie est poignante, écrite de sa main, apprend-on; l'homme veut sensibiliser l'opinion mondiale au sort des milliers de naufragés, parmi lesquels beaucoup de Tunisiens. Dans le stade local, rempli par le passé de réfugiés dont personne ne voulait, poignées de mains à chacun d'entre eux et vœux pour que leur calvaire soit transformé en rêve sinon en espoir; l'homme se pose en dehors des contingences, au-dessus des politiques qui sont divisés en clans, les uns veulent arrêter l'immigration, les autres veulent la favoriser. «Ces bateaux, dit-il, au lieu d'être un chemin d'espérance, ont été une route vers la mort». Une visite sur fond de violence, comme un enchantement, le monde n'en avait jamais vu; une matinée aura suffi pour secouer les consciences, l'Eglise et les humains ; un vent nouveau qui souffle pour changer le comportement des hommes.