Un café culturel, comme il en existe depuis quelques années à Tunis et ses environs, porte-t-il toujours son nom ? Reportage au café culturel d'Ezzahra, par une nuit de sainteté où culture et soucis de jeunesse se mêlent à satiété. Dans la matinée de ce samedi très ensoleillé, la page facebook «Ezzahra» partage ce statut : «Rendez-vous au café culturel d'Ezzahra à 22h00 pour une première rencontre... Vos avis ?». Les commentaires s'enchaînent jusqu'à après la rupture du jeûne. L'invitation, accueillie ainsi avec enthousiasme, sera-t-elle pour autant acceptée et honorée ? Des notes de musique reggae jouées par une guitare sèche se mêlent à l'odeur du thé vert qui inonde l'espace en plein air, d'un peu plus de deux cents mètres carrés, planté d'arbres séculaires et meublé de chaises et de tables vieillottes, mais bien essuyées. A quelques pas seulement de la mer et jouxtant le vieux théâtre municipal, l'espace est éclairé par quelques réverbères. Le cercle des artistes en herbe Il est 22h00 pile au café culturel d'Ezzahra. Un groupe de jeunes, filles et garçons, déjà attablés, entourent leur ami guitariste sans s'arrêter de discuter, de rire et d'échanger des taquineries. Ils ne sont pas tous originaires de la ville. Il y a ceux qui sont venus par TGM et par train en provenance de la banlieue nord. Ceux qui passent des vacances chez des amis. D'autres, venus du sud et du nord du pays, sont désormais des habitués de ce café. «C'est ici que je respire, c'est ici que je m'éclate, c'est ici que je me marierai aussi», s'exclame Dhia, 19 ans en reposant la guitare sur ses genoux. Tombé amoureux de ce «coin unique», il y a quelques années, il quitte le Kram chaque soirée, à peine la soupe et les briks avalés, pour retrouver ce qu'il qualifie de famille. D'ailleurs, pour que cela soit comme du vrai, «Chacun de nous porte le nom d'un membre de la famille : tante, sœur, frère, mère...Je suis le «père», dit-il orgueilleusement. Presque tous ont un don et autant d'inspiration. «Nous avons créé notre monde et une autre vie. Ici même». Les cafés culturels, espaces relativement nouveaux dans une Tunisie qui se veut nouvelle, offrirait ceci de particulier : donner libre cours à sa passion, applaudir un spectacle, admirer une création ...en sirotant une boisson, en mangeant un mets au milieu d'une assistance qui partage les mêmes passions, forcément. On y emmène son instrument de musique, ses livres, ses idées sans que l'on soit rappelé à l'ordre par le propriétaire du lieu ou être dans le viseur de couples et autres clients solitaires qui cherchent la paix. Ces cafés, en apparence élitistes, «sont ouverts à tout le monde», assure Khouloud, lycéenne d'à peine 16 ans. Heureux toutefois celui qui se retrouve dans le groupe, dans l'esprit de groupe. Celui qui a un talent. Originaire de Bizerte, Khouloud affirme que le café culturel d'Ezzahra a d'autres caractéristiques qui font qu'elle abandonne chaque été sa ville natale pour s'y réfugier ...à mille lieues de la réalité : «C'est un espace de liberté». Une liberté assumée, cependant : «Etre loin de sa famille est déjà une responsabilité». Le café reste ouvert jusqu'au petit matin. «Personne ne nous ordonne de partir ; ailleurs, c'est fermé avant minuit ; or quand on veut exercer une activité artistique, le facteur temps n'a plus d'importance». Khouloud démêle sa longue chevelure avant d'enchaîner : «Aussi, on n'est pas obligés de commander à boire ou à manger, comme c'est le cas dans les autres cafés. On consomme gratuitement, quand on n'a pas d'argent. On peut toujours payer plus tard. ça arrive de rester sans le sou, non ?». Une tendance bohémienne qui rassemble le groupe à l'abri du conventionnel et des contraintes. Amis virtuels, activités réelles.. Autour d'une même table, étudiants, lycéens, artistes en herbe et chômeurs composent ensemble le menu d'une soirée qu'ils veulent décontractée. La conversation ininterrompue sera ponctuée de musique, de danse, de proses. D'air frais. «Pas d'opportunisme, pas de calculs», lance Zeineb, étudiante en physique et chimie. «A la faculté, on se lie d'amitié par intérêt. D'où les déceptions». Elle fait remarquer qu' «il n'y a pas de rapport client-serveur-propriétaire dans ce café». L'un des serveurs âgé de 23 ans joue d'ailleurs à la batterie; il rejoint le groupe quand celui-ci monte sur l'estrade qui surplombe l'espace pour un spectacle toujours gratuit. Diplômé en BTP en électro-mécanique, il se «saoule» de musique en attendant le résultat d'un concours qu'il vient de passer. Et croise les doigts ...sur sa batterie. «On écoute toutes sortes de rythme : métal, jazz, soul, mezoued aussi...Quand on a une passion, c'est important d'en parler en groupe, pour mieux l'explorer», souligne Mohamed Mejri. Le jeune homme né à Ezzahra raconte les obstacles rencontrés par les jeunes artistes qui manquent de moyens, de matériels, de sponsoring, qui travaillent «underground» sans se décourager. Qui publient leurs compositions sur Internet en rêvant d'une maison de disque qui surgirait. Pendant ce temps : «On va cotiser pour acheter un micro et des baffles. Le groupe en a besoin». 22h 30. Ahmed Fakraoui, admin de la page «Ezzahra» sur facebook, rejoint la discussion. Il ne connaît (aucune) personne du groupe. Ayant lancé son invitation dans la matinée, il explique le pourquoi et le comment d'une telle initiative : «La page compte plus de 6.000 membres, j'ai estimé bon d'inviter le plus grand nombre de ces amis virtuels à une soirée ramadanesque dans un même lieu pour faire connaissance, pour s'engager dans des actions concrètes au profit de la ville. J'ai choisi le café culturel sachant que c'est le seul endroit où les jeunes aiment se rencontrer». L'admin, responsable logistique , lance des regards autour de lui à la recherche des membres de sa page qu'il connaît uniquement à travers des « profils». Il poursuit : «Il faut quitter facebook et s'engager sur le terrain. Ezzahra n'est plus ce qu'elle était. Regardez la mer à quel point elle est polluée... » Et pour commencer : «Sauver le café, clame Ghalia, 19 ans qui vient de décrocher son bac...Elle explique que l'espace qui normalement est ouvert uniquement l'été est depuis deux ans accessible toute l'année». C'est notre refuge après les cours, on s'attable sous la pergola même quand il fait froid. «Seulement la municipalité à qui il appartient en fait en a décidé autrement. Allons-nous continuer à se voir ici après ces mois d'été. Je ne sais pas».