Par Abdelhamid GMATI En démocratie, toute la classe politique (gouvernants et opposants) reste à l'écoute du peuple et adapte ses actions aux revendications populaires. Avant, pendant et après les élections, qu'elles soient locales, régionales, cantonales, municipales, nationales ou fédérales. Les résultats ne sont jamais définitifs, le peuple, détenteur de la souveraineté, pouvant évaluer les performances des uns et des autres, retirer sa confiance, la confier à d'autres, au gré de ses choix, des programmes qu'on lui propose et des résultats. Et tous tiennent compte de la voix du peuple et s'empressent d'y accéder. Et tous procèdent à une évaluation permanente de leurs performances et de leurs propositions. Chez nous, on fait l'apprentissage de la démocratie mais il semble qu'on le fait mal et qu'on reste sourd à la voix populaire. La classe politique, dans son ensemble, a son calendrier qu'elle veut imposer coûte que coûte. Depuis une dizaine de jours, des dizaines de milliers de Tunisiens occupent les places publiques et les rues dans plusieurs villes du pays. L'immense majorité exprime son ras-le-bol et exige la démission du gouvernement et la dissolution de l'Assemblée nationale constituante. Une soixantaine de députés, qui ont décidé de geler leurs activités, y participent. Mais les écoute-t-on ? Prend-on en compte ces manifestations de mécontentement populaire ? Rien n'est moins sûr. Déjà, à l'ANC, les députés restants ignorent les motivations de leurs collègues réfractaires qui représentent quand même des milliers d'électeurs, et se déclarent prêts à poursuivre leurs délibérations. Même s'ils sont majoritaires, croient-ils vraiment que leurs décisions seront valables et agréées ? On se serait attendu à un débat avec autocritique et analyse objective de ce mécontentement populaire, qui se manifeste à leur porte, au Bardo. La dictature, même si elle émane de la majorité, n'est jamais acceptée sans un minimum de consensus. L'autisme est général et si tout le monde parle, personne n'écoute personne. Le plus désolant, ce sont les réactions des gouvernants, qui non seulement restent sourds mais font preuve d'arrogance, invectivant, directement et indirectement (à travers leurs médias et sur les réseaux sociaux), leurs opposants et les contestataires en sit-in. Et on en entend de belles, qui feraient rire si elles n'étaient pas pitoyables et même graves. En premier, cette tendance à trouver, à inventer des boucs émissaires. Ainsi, ces responsables et ces médias proches du principal mouvement au pouvoir, qui n'ont pas hésité à mettre en cause des parties étrangères, pour expliquer les terribles événements du Chaâmbi. Ce qui nous a valu une certaine tension avec l'un de nos voisins et le mécontentement d'un autre pays ami. L'inénarrable Abderraouf Ayadi, du groupuscule Wafa, va jusqu'à voir une implication d'Israël. Sans aucune preuve, ni indice, bien sûr. Pour banaliser les assassinats en Tunisie, des membres du gouvernement parlent «d'accident de parcours» ou d'exemples à l'étranger; «il y a partout des assassinats, en France, aux USA, en Suède...». Ils oublient de dire que ces assassinats à l'étranger, qui étaient rares, ont été commis par des individus plus ou moins détraqués et non par des organisations, et que les auteurs ont rapidement été arrêtés et jugés. Ce qui est loin d'être le cas chez nous. Fait significatif : au lendemain du meurtre de Mohamed Brahmi et alors que tous les journaux consacraient leur «Une» à ce drame, le journal du mouvement Ennahdha «El Fajr» n'y réservait même pas un petit titre, tout son intérêt allant aux événements en Egypte. Quant au mécontentement populaire qui se manifeste chaque jour et chaque nuit, les gouvernants n'y accordent aucune importance, se consacrant à défendre leur «légitimité». Le ministre de l'Agriculture, Mohamed Ben Salem, affirme que «contester les résultats des élections est un danger pour la Tunisie». Il estime aussi que les opposants « veulent être comme des Khmers rouges de Corée qui étaient derrière un génocide ». On admirera la vaste culture et les connaissances de ce ministre qui ne sait pas que les Khmers rouges étaient au Cambodge et étaient au pouvoir. Un député du parti Wafa, Mabrouk Hrizi, est convaincu que «ceux qui se révoltent contre la légitimité doivent être mis en prison». Il faudra alors construire beaucoup de prisons pour enfermer les dizaines de milliers de contestataires. Un membre de la Choura d'Ennahdha, Hamza, est convaincu «qu'ils (les manifestants) doivent partir avant qu'ils ne soient enterrés». Il n'a pas spécifié s'ils doivent l'être vivants ou morts. La palme revient à l'imam d'une mosquée à Sfax qui, dans un prêche, «insiste sur la nécessité de soutenir la légitimité, estimant que les fidèles sont les gardiens de l'Islam et de la nation» et que «les défenseurs de la légitimité seront récompensés par Dieu et iront au Paradis». Nous voilà avertis: que ceux qui veulent une place au Paradis, n'ont pas à faire le Bien, à faire l'aumône ou à chercher à être de bons musulmans: ils n'ont qu'à défendre la légitimité et ils auront leur billet d'entrée. Et s'il n' y a plus de billet, l'imam sera à la porte du Paradis pour les faire entrer clandestinement comme cela se fait dans nos festivals. Il est toutefois permis de douter que cet imam aille au Paradis. Entre-temps, les jeunes Tunisiens présents au Bardo ne manquent pas d'humour. Des héros des bandes dessinées américaines se sont invités parmi les manifestants : Batman, Hulk, Superman étaient là alors que Spiderman grimpait à un poteau pour accrocher un drapeau tunisien. Un site a ouvert une page consacrée au sit-in du Bardo. Mais pour y accéder, il faut taper un mot de passe... qui est Bourguiba. Un beau cadeau pour les islamistes. Pendant ce temps, la Banque centrale appelle à des mesures urgentes et concrètes pour faire face à la dégradation de la situation dans le pays. Mme Bouchamaoui, de l'Utica, estime «que la situation économique du pays est catastrophique» et l'ODC tire la sonnette d'alarme qualifiant, également, la situation de catastrophique. Le gouvernement, lui, responsable de cette situation, reste muet, occupé à se maintenir au pouvoir, aveugle et sourd aux cris de la population.