La scène politique fait du surplace. Finalement, on n'avance guère en vue de l'issue de crise. La rencontre Béji Caïd Essebsi (BCE)-Rached Ghannouchi à Paris a été perçue par certains comme une sorte de non-événement. Elle traduit davantage l'immobilisme que le dynamisme. Certes. Mais elle n'en a pas moins quelques significations importantes. La crise gouvernementale pèse profondément sur la Troïka gouvernante. Le mouvement Ennahdha est dans la tourmente. De toutes parts, les propositions de sortie de crise fusent. Le blocage est dans les structures dirigeantes d'Ennahdha. Coupables d'incapacité d'imaginaire politique. Une sorte de fixisme ravageur y sévit. Nourri de rapports de force précaires, de peurs et d'extrapolations. Ce faisant, le principal parti de la coalition gouvernementale s'enfonce, s'enlise dans la tourmente. Et risque gros. Les craquelures et lézardes sont de mise au sein même de l'édifice gouvernemental. Les répliques acerbes de Noureddine Bhiri, haut dirigeant d'Ennahdha, aux propos et attitudes d'Ettakatol en disent long là-dessus. La discorde de la coalition au pouvoir accuse son déséquilibre et sa chute. BCE est un fin manœuvrier. Il sait que le voyage de Ghannouchi pour le rencontrer à Paris joue en sa faveur. Enfoncé dans la tourmente, le président d'Ennahdha n'y peut guère. Il «monte» à Paris pour solliciter l'accord de celui-là même que son parti désignait, hier encore à Tunis, comme le porte-drapeau de la contre-révolution, des ancien-régime, des azlem. Qui plus est Ghannouchi boit jusqu'à la lie la coupe d'amertume. Béji Caïd Essebsi oppose un triple niet à ses propositions de sortie de crise. Et s'empresse de le faire savoir, à l'issue de laborieuses tractations de coulisses incapables de pondre un communiqué commun. Le CPR, fidèle allié d'Ennahdha et farouche contradicteur de BCE et de son parti, Nida Tounès, subit lui aussi l'humiliation. Par ricochet à dire vrai. Mais un camouflet est un camouflet. En fait, on assiste à l'émergence d'une triangulation nouvelle. D'un côté, Ennahdha et ses alliés, ses banlieues et ses satellites, enfoncés dans la crise jusqu'au cou. Mais campant l'immobilisme tous azimuts. De l'autre, le Front du Salut qui, par Front populaire interposé, maintient la pression et joue l'opposition radicale, maximaliste, pure et dure. Il œuvre tout simplement pour la dissolution du gouvernement et de l'Assemblée constituante, de but en blanc. Nida Tounès, lui, n'est pas affilié au Front populaire mais se place dans la mouvance radicale du Front du Salut. Il épouse en même temps la position de l'Ugtt, la centrale syndicale, et de ses alliés prônant la dissolution du gouvernement et le maintien végétatif de l'Assemblée constituante. De sorte que le patron de Nida Tounès se retrouve de toutes les combinaisons. Ennahdha et consorts sollicitent son appui ou du moins sa collaboration pour en finir avec leur profonde crise. Le Front du Salut se réjouit de son intransigeance et l'Ugtt et consorts y trouvent un allié de taille. BCE s'investit bel et bien en maître de cérémonie. La clé du déblocage dépend dans une large mesure de lui. Hamma Hammami, chef du Front populaire, y trouve son compte. Ennahdha enterre, sans le déclarer clairement, sa loi dite d'immunisation de la révolution, qui était supposée dégager BCE de la scène politique et neutraliser son parti. Ce dernier est présumé premier vainqueur des prochaines élections dans les sondages d'opinion. Le vieux renard rit sous cape à Paris. Il doit se dire à part soi : «Vous vouliez m'éliminer, je suis le chiffre incontournable de l'équation, rira bien qui rira le dernier». Et se réjouit du fait qu'ils soient si nombreux à se bousculer à son portillon. On appelle cela la grimace de l'histoire. Et ce vieux briscard de BCE en sait quelque chose.