Des politiciens au pouvoir et de l'opposition, des magistrats et des avocats accusés de rouler pour les terroristes Les déclarations fracassantes faites, hier, par les responsables de l'Union nationale des syndicats des forces de la sûreté (Unsfs) ont suscité un tollé général aussi bien auprès de l'opinion publique que du paysage politique ainsi qu'auprès des magistrats. Ainsi, en déclarant qu'ils disposent de preuves irréfutables sur la compromission de certains hommes politiques du pouvoir et de l'opposition, de magistrats et d'avocats avec l'organisation Ansar Echaria, les responsables de l'Unsfs ont jeté un pavé dans la mare suscitant plusieurs réactions aussi diverses que contradictoires. Certains estiment que «nos policiers en ont ras le bol de leur ministère qui n'écoute pas leurs avertissements et sont obligés de recourir à l'opinion publique pour faire l'arbitre». D'autres tirent la sonnette d'alarme pour expliquer que «le discours véhiculé par les syndicalistes de la police jette de l'huile sur le feu et constitue un manquement inacceptable à la déontologie de la profession et ne fait qu'accentuer encore plus la tension entre l'institution judiciaire et l'institution sécuritaire». Une troisième voix appelle le ministère public à «assumer ses responsabilités et à ouvrir immédiatement une enquête judiciaire pour dévoiler ces listes de personnalités compromises que les policiers assurent détenir». La loi au-dessus de tous Pour Ajmi Lourimi, membre du bureau exécutif d'Ennahdha, «il est inconcevable qu'il y ait des magistrats tunisiens qui traitent avec les organisations terroristes. Et même en admettant que les révélations du syndicat sont réelles, pourquoi ne pas les délivrer au ministère de l'Intérieur». «Pour moi, ce sont des accusations qui doivent être prononcées et c'est au ministère public d'ouvrir une enquête officielle afin de déterminer les responsabilités des uns et des autres. Sur un autre plan, ces déclarations ne font que pourrir la situation et il importe à tous d'avoir le courage et l'audace qu'il faut pour que la loi soit respectée et que tout le monde s'y astreigne», ajoute-t-il. A la question de savoir comment Ennahdha réagit-elle aux accusations qui sont portées contre certains de ses dirigeants, Lourimi précise : «Autant nous sommes attachés à l'application rigoureuse de la loi, autant nous sommes persuadés que l'enquête judiciaire que nous réclamons prouvera l'innocence de nos dirigeants accusés gratuitement», relève-t-il. Un précédent grave Ahmed Rahmouni, président de l'Observatoire pour l'indépendance de la magistrature (Otim), tempête contre cette conférence de presse, «qui est venue verser de l'huile sur le feu en choisissant le style du sensationnel et de la provocation compliquant dangereusement les rapports qu'entretiennent les syndicats policiers avec leur propre ministère déjà assez tendus et avec l'institution judiciaire». Il ajoute : «Le discours qu'ils ont développé constitue un déni total du secret professionnel, de l'obligation de réserve et de l'éthique auxquels sont astreints les forces de sécurité à l'égard des institutions de l'Etat». Rahmouni tempête que le syndicat «parle de parties compromises avec les terroristes comme s'il disposait des secrets de l'Etat et qu'il s'autorise à révéler au grand public mettant en péril les plans de l'Etat pour faire face au danger terroriste. Pis encore, ces accusations sont livrées sans aucune preuve. Et en reconnaissant qu'ils suivaient certains magistrats qu'ils accusent d'être en collision avec les terroristes, ils se sont arrogé le droit de contrôler ces mêmes magistrats sans avoir d'autorisation pour le faire». «C'est un précédent grave, conclut-il. Ça nous rappelle les viles pratiques de Ben Ali. Quant à la liste des magistrats vendus qu'ils menacent de dévoiler au moment qu'ils jugeront opportun, ce n'est qu'un remake de ce qu'a fait Ben Jeddou quand il a donné aux médias les noms des présumés terroristes arrêtés par ses services mais qui étaient déjà libérés par la justice. L'Otim dénonce vigoureusement ces pratiques et s'élève contre ces syndicalistes qui révèlent publiquement des secrets sécuritaires». Un comportement patriotique Adelaziz Kotti, constituant de Nida Tounès, développe une lecture complètement différente estimant que «les membres des syndicats de la police ont raison d'agir ainsi. Ils ont ras le bol de la situation difficile qu'ils vivent au sein de leur ministère, et de l'incompréhention qu'ils recontrent auprès de leurs supérieurs. Ces derniers font la sourde oreille à leurs avertissements et appliquent les directives qui leur proviennent d'autres parties se trouvant en dehors du ministère de l'Intérieur». Le constituant nidaiste revient aux appels lancés par les forces de sécurité lancés par les forces de sécurité, depuis mai 2012, attirant l'attention sur la prolifération des activités jihadistes. «A l'époque, Ali Laârayedh n'a pas hésité à les accuser l'intelligence avec l'étranger. Aujourd'hui, ils sont toujours marginalisés et empêchés d'accomplir leur mission conformément aux normes qu'exige une police républicaine qui n'obéit aux ordres de personne. Et s'ils ont décidé de tout déballer publiquement, c'est parce qu'ils ont peur pour leur pays. C'est un comportement hautement patriotique qu'il importe de saluer», souligne-t-il.