« Les discours inquisiteurs de traîtrise, de mécréance et de dénigrement ont pris de l'ampleur entre les différents adversaires politiques, majorité et opposition » Selon le Syndicat national des journalistes tunisiens et compte tenu de la prolifération des procès plus ou moins absurdes à l'encontre des journalistes, de sérieuses menaces pèsent sur les médias depuis quelque temps. Mais, grand paradoxe du paysage médiatique, le discours haineux et incitant à la violence s'y est confortablement installé. En tout cas, c'est ce qui ressort d'un rapport autour de «l'observation des discours de haine dans les médias», publié récemment par Arab Working Group for Media Monitoring (AWGMM) et financé par une ONG, la très british Oxfam. Le rapport en question, qui s'est appuyé sur une observation des médias (quotidiens, hebdomadaires, radios et télévisions) à travers une période de trois mois — de janvier à mars 2013—, indique dans son préambule que «ce phénomène médiatique (de discours de haine) s'est poursuivi même après l'assassinat de Chokri Belaïd. Les discours inquisiteurs de traîtrise (takhouine), de mécréance (takfir) et de dénigrement ont même pris de l'ampleur entre les différents adversaires politiques, majorité et opposition». Ces constatations, accablantes tant pour les médias que pour les acteurs de la vie politique tunisienne, sont pratiquement identiques pour tous les types de supports objet de l'étude. La presse écrite arabophone accapare plus de 90% des discours de haine, dont pas moins de 13% sont «des incitations, directes ou indirectes, à la violence», indique le rapport. Le journal La Presse tire son épingle du jeu et apparaît, selon le même rapport, comme le quotidien tunisien le moins enclin à se prêter au jeu des petites phrases haineuses. Une position que les analystes expliquent, entre autres, par sa vocation de journal de «service public». Plus grave, l'observation montre que, s'agissant des stations de radios privées (98% des discours d'intolérance), «il existe une grande responsabilité des journalistes dans la production de discours de haine, puisque 56.6% de ces discours sont produits par les journalistes eux-mêmes». Un taux qui, selon le rapport, «dénote un non-respect évident des règles du métier et des chartes éthiques ». En tête des radios qui tolèrent sur leurs ondes un discours jugé haineux figure Mosaïque FM. A la télé, ce sont, par contre, les hommes politiques qui portent la responsabilité de la dégradation du discours puisque, selon AWGMM, près de 60% des contenus haineux sont le fait des politiciens et des militants appartenant surtout au parti islamiste Ennahdha et, au Watad, parti d'Extrême-gauche. Constatation surprenante, cependant, puisque le rapport de 43 pages fait remarquer en même temps que la plus grande partie des discours de haine vise le parti islamiste au pouvoir et, à un moindre degré, le parti Nida Tounès. Puis vient le Front populaire. C'est-à-dire, finalement, les plus «grands» partis. Victimes et bourreaux, en fait ! Les observations font ressortir en effet que ces mêmes partis sont les plus prolixes en matière de discours haineux. Un rapport qui laisse perplexe, notamment sur cette contradiction entre liberté de la presse, souvent malmenée, et ces excès qui ne peuvent que rendre plus difficile une transition démocratique déjà mal en point.