Deux pierres angulaires de la démocratie, ces deux secteurs connaissent heurts et collusions « Justice-médias, deux corps antagoniques de par la nature de leur relation conflictuelle et de par leur perception de la réalité des faits et des vérités établies. Autrefois, sous le joug de la dictature, les deux pouvoirs n'avaient pas la force, ni la volonté politique, de s'aligner sur les mêmes justes causes, à savoir l'indépendance de la profession, l'impartialité et la liberté d'expression. Tous les deux se regardaient, ainsi, en chiens de faïence. Aujourd'hui, en cette étape transitoire marquée par des convulsions et de hautes tensions sporadiques, il n'est plus de choix que de mettre la main dans la main, afin de restaurer mutuellement le credo de confiance et gagner le pari de la démocratie. Car, il n'y a pas de démocratie sans justice, ni médias.. », ainsi s'est exprimée Mme Kalthoum Kannou, présidente de l'Association des magistrats tunisiens (AMT), à l'ouverture d'un colloque organisé, hier matin, à Tunis sur «Justice et médias ». Elle a ajouté que nul n'est, d'ailleurs, au-dessus de la loi. Juges et journalistes devraient, poursuit-elle, aller de pair pour la défense des droits et des libertés individuelles et collectives, loin de toute forme d'instrumentalisation politique des rapports professionnels qui les lient. Et cette rencontre d'aujourd'hui, qui se veut franche et constructive, s'inscrit bel et bien dans la quête d'un rayon lumineux au bout du tunnel. Une lumière qui pourrait conduire le processus démocratique à bon port. « Que chacun joue pleinement son rôle et que tous les deux agissent à l'unisson, en toute complémentarité et dans la sérénité requise», préconise la présidente de l'AMT. Sur sa lancée, le président de la Haute instance indépendante de la communication et de l'audiovisuel (Haica), M. Nouri Lajmi, a pris la parole en tant qu'invité d'honneur pour se référer à une belle citation disant : « Nous rendons justice les mains tremblantes.. ». Le sens fait allusion aux principes de la responsabilité et de la bonne conscience professionnelle. Il n'y va pas par quatre chemins pour résumer le fond de la relation justice-médias qui repose sur trois piliers, à savoir indépendance, transparence et confiance réciproque. La règle de trois, comme on dit, qui doit régir le champ d'activité de chaque pouvoir. Pour Hichem Snoussi, également membre du bureau de la Haica, la question justice-médias n'intervient pas à point nommé. Inutile de l'aborder maintenant avant qu'une réforme institutionnelle et structurelle ne soit véritablement engagée dans ces deux domaines. « Traiter un tel dossier à l'heure où rien n'est évident relève de la fausse note, d'autant que la justice et les médias se retrouvent côte à côte dans une bataille commune, celle de l'indépendance et la liberté d'expression», a-t-il estimé, ajoutant qu'il est préférable de se pencher, a priori, sur la réussite du processus démocratique en tant qu'exigence majeure. Et M. Snoussi de relever que l'atmosphère de tensions prévalant dans le milieu judiciaire et médiatique est à l'origine d'une œuvre de réforme inachevée et d'un projet sociétal encore en chantier. « Dès lors que le ministère public est sous la coupe du ministère de la Justice et que le gouvernement affiche une grande réticence à l'égard de l'application des décrets 115 et 116, l'on peut ainsi conclure qu'il est aussi prématuré de parler d'une nouvelle relation justice-médias basée sur l'indépendance et la liberté», a-t-il fait remarquer. Pour sa part, M. Mohamed Letaief, membre du bureau de l'AMT et président du Tribunal de première instance de Sfax, s'est longuement attardé sur les problématiques d'application du décret 115, promulgué en novembre 2011, relatif à la liberté de la presse, d'impression et d'édition. Il estime que ces problématiques sont dues essentiellement à certaines défaillances qui relèvent bien du fond que de la forme. « Bien qu'il ait été promulgué depuis deux années, ce décret n'est malheureusement pas considéré être en vigueur, d'où s'inspirent les jugements non conformes à la loi », argue-t-il, indiquant que le juge d'instruction pourrait se retrouver dans la difficulté de se prononcer comme il se doit dans les procès en rapport. «Faut-il réguler la justice et les médias, à la lumière des vacillements dont font preuve ces deux pouvoirs fragilisés ? Ainsi s'interroge M. Mustapha Letaief, universitaire à la faculté de Droit et de Sciences politiques de Tunis. Cet état de fait mérite d'être réexaminé pour corriger l'équilibre. « Et quoi que chacun d'entre eux se dote d'une autorité de régulation, justice et média, n'en finissent pas de produire des abus qui font encore des polémiques », a-t-il expliqué. Ce colloque, aux dires des intervenants, n'est qu'une initiative visant à mettre toute la lumière sur la relation dialectique justice-médias. Les recommandations tournent autour d'une série de propositions pour le rapprochement des deux champs et dégager la synergie à même de faire triompher les deux chevaux de bataille : l'indépendance et la liberté d''expression.