Par Abdelhamid Gmati Une autre nouveauté, une première dans cette Tunisie de l'après 23 octobre 2011 : les trois présidents provisoires, celui de la République, celui du gouvernement et celui de l'Assemblée nationale constituante ont été contraints de quitter les lieux lors d'une cérémonie officielle, en hommage aux deux agents de la Garde nationale décédés jeudi à Goubellat (gouvernorat de Béja). Et ce sont les gardes nationaux, en tenues réglementaires et en civil qui ont clamé le fameux «Dégage», slogan fétiche de la Révolution, à l'encontre des trois personnalités. Alors que des dizaines d'agents attendaient sous un soleil de plomb devant les cercueils de leurs collègues, les trois présidents vaquaient à d'autres occupations populistes (condoléances aux familles, ce qui pouvait se faire plus tard). D'où le retard qui a déclenché l'exaspération et la colère. C'est grave qu'un corps constitué, instruit à l'obéissance et à la discipline manque au respect des symboles de l'Etat dont le prestige en a pris un coup, ce jour-là. En fait, le retard de la cérémonie n'a été qu'un déclencheur. Le ras-le-bol des forces de l'ordre date de plus d'une année. Se trouvant, avec les militaires, en première ligne dans la lutte contre le terrorisme, ils ne font que compter les victimes dans leurs rangs. Et ils en imputent la responsabilité au gouvernement auquel ils imputent la responsabilité de la détérioration de la situation dans le pays. Lors d'une manifestation de soutien aux forces sécuritaires, des partis de l'opposition et des responsables de syndicats de sécurité ont dénoncé le manque de volonté du gouvernement dans la lutte contre le terrorisme et l'accusé de laxisme. Rappelons qu'un jour avant les événements tragiques de Goubellat, des postes frontaliers de la Garde Nationale dans le gouvernorat de Jendouba avaient été attaqués par des terroristes. Et le terrorisme s'est manifesté à plusieurs reprises faisant de nombreuses victimes parmi les soldats et les forces de l'ordre. Le ministre de l'Intérieur a lui-même reconnu que «lorsque nous avions mis en garde contre le terrorisme, on nous avait reproché d'en exagérer le danger». Le pouvoir saura-t-il en tirer les leçons ? Les premières réactions, celles du commandant de la Garde nationale, du ministre de l'Intérieur et celle du chef de gouvernement, vont toutes vers la sanction et la répression. Va-t-on s'en prendre à des dizaines d'agents pour avoir exprimé leur exaspération et leur colère ? Va-t-on les mettre en prison parce qu'ils demandent plus de protection et des conditions optimales leur permettant de défendre le pays ? Le «Dégage » des gardes nationaux envers les premiers responsables politiques du pays n'est pas le premier du genre. Les populations de Sidi Bouzid et d'autres régions ont déjà brandi le slogan contre les trois présidents. Sans parler des ministres. Les manifestations populaires qui se tiennent depuis le 25 juillet (assassinat du regretté Mohamed Brahmi) réunissent des milliers de personnes qui toutes veulent «dégager» le gouvernement et les élus de l'ANC. Faut-il les sanctionner tous et les mettre en prison? Lorsque le 14 janvier 2011, la population avait crié «Dégage» à la face du dictateur, Ben Ali avait compris sa douleur et avait obtempéré. C'était un tyran, souvent aveugle et sourd aux misères de son peuple, mais il avait fini par entendre. Visiblement, ce n'est pas le cas de ceux qui se disent démocrates, réceptifs et à l'écoute de la population. La crise multiforme dans laquelle se débat le pays ne semble pas les concerner. Tout ce que les gouvernants ont fait à la suite de la cérémonie sus-mentionnée a été de décréter un jour de deuil national et l'accélération de l'examen de la loi de protection des forces de l'ordre. Trop peu, trop tard. Car le ras-le-bol est général et à tous les niveaux. Et rien ne s'est fait concernant le fameux Dialogue national supposé permettre une sortie de crise. Pendant trois jours, l'attention générale s'est focalisée sur les meurtres de nos valeureux agents, jetés dans le feu du danger sans moyens appropriés. Et on en a oublié le reste : les tergiversations, les nominations partisanes, y compris au sein de l'appareil sécuritaire et de la magistrature... Est-ce un hasard lorsque les gouvernants sont en mauvaise posture, une action violente, terroriste est déclenchée ? Troublant ; car les faits sont têtus.