Jihadistes envahissants, contrebandiers armés, règlements de comptes sanglants entre factions rivales, insécurité totale : c'est le décor apocalyptique libyen qui...avance vers nos frontières. On le savait et on l'a même prédit, il y a plus d'un an sur ces mêmes colonnes : c'est par nos frontières avec la Libye que le plus grand danger terroriste allait venir. Hélas, il est clair qu'on n'y a pas trop cru, en ces temps-là, marqués par un incroyable relâchement sécuritaire qu'alimentaient luttes fratricides sur la scène politique et règlements de comptes impitoyables sous les toits de la grande citadelle du ministère de l'Intérieur. Et pourtant, la Libye offrait, à l'époque, tous les ingrédients d'une menace potentielle pour notre pays : invasion ravageuse de groupuscules intégristes (voir encadré ci-joint) venus de partout, circulation, en toute impunité, d'armes lourdes aux mains d'insurgés, prolifération des armes acquises dans le redoutable arsenal militaire de Gueddafi, kidnappings, attentats, règlements de comptes sanglants entre factions rivales. Le tout au milieu d'une absence totale, ou presque, de l'autorité de l'Etat. Exportation de jihadistes C'est aussi dans ce pays livré à lui-même et où tout est désormais permis qu'a émergé, de l'aveu même des services de renseignements occidentaux, la plus imposante communauté de terroristes intégristes de ces 15 dernières années, après celle évoluant, dans les années 90, en Afghanistan. Devenue ainsi «la Mecque des jihadistes islamistes», la Libye a été transformée, du jour au lendemain, en terrain de prédilection vivement recherché par la nébuleuse d'Al Qaïda qui se mettait, mine de rien, à entasser armes et munitions, à aménager des camps d'entraînement au profit de milliers de candidats au jihad et, bien évidemment, à échafauder des plans diaboliques (attentats, rapts...) à l'adresse des pays voisins, l'objectif final étant d'y implanter des émirats islamistes à la solde d'Al Qaïda. Moins d'un an après, trois pays voisins en seront touchés, à savoir l'Algérie, le Mali et...la Tunisie qui furent (le sont encore ?) submergés par la spirale libyenne qui a soufflé, dans son sillage, sur la Syrie, via la Turquie. Sa capacité...d'exportation est telle qu'elle a pu envoyer des «renforts» en Somalie, au Niger, en Egypte et même chez Boko Haram au Nigeria, bref là où les besoins d'Al Qaïda en hommes et en armes se faisaient sentir. Oui, mais... Tout cela pour dire que la Libye s'est transformée «en capitale mondiale des jihadistes» qui a supplanté, coup sur coup, l'Afghanistan, le Pakistan, l'Irak et la Syrie. Une vérité que l'Occident a été le premier à reconnaître, en envoyant à Tripoli espions, matériel de renseignements et drones. Paradoxalement, et c'est là que le bât blesse, la Tunisie a été pratiquement la dernière à attraper le peloton ! Cela est révoltant et frustrant à la fois. Révoltant, car il fallait normalement s'en apercevoir depuis belle lurette, s'agissant surtout d'un pays voisin, ce qui prouve l'ampleur du...déficit dont souffraient (souffrent encore ?) nos services de renseignements. Frustrant, parce qu'on avait gaspillé un temps fou, par laxisme et atermoiements interposés, avant de se rendre compte de la gravité de la situation à nos frontières avec la Libye. Tard, peut-être même, trop tard pour espérer refaire le terrain perdu, rien qu'en se référant au bilan catastrophique essuyé jusqu'à présent, avec, à l'appui, d'innombrables infiltrations dans nos murs de jihadistes, d'armes et de contrebandiers venant de ce pays. Autre côté alarmant de ce bilan : les...navettes des combattants entre les deux frontières, véritable passoire dont la perméabilité s'est ces jours-ci, heureusement, sensiblement réduite, à la faveur des mesures préventives prises récemment (construction de cinq nouveaux postes avancés de surveillance, instauration d'une zone militarisée, augmentation des effectifs de l'armée et de la Garde nationale, intensification des sorties aériennes, mobilisation d'équipements de détection sophistiqués...). Mais, est-ce suffisant pour rendre ces frontières réellement inviolables? That's the question... Combien de Tunisiens servent en Libye ? Une dizaine ? Une centaine ? Des milliers ? Nenni, personne absolument personne ne peut estimer (du moins pour le moment) le nombre exact des combattants tunisiens servant en Libye. Ce que l'on sait, par contre, c'est que beaucoup d'entre eux y évoluent bel et bien. En chair et en os. Comment s'y sont-ils rendus ? Quel destin les attend là-bas ? Y vont-ils pour un aller sans retour ? Abou Iyadh est passé par là... Si l'on se réfère aux révélations de nos enquêteurs en charge du dossier du terrorisme, tous les jihadistes tunisiens envoyés en Libye sont à la solde d'Ansar Echaria. En effet, il s'est avéré que l'homme fort de ce mouvement, Abou Iyadh, chapeaute une cellule secrète chargée de l'envoi de terroristes dans ce pays. Là où, à peine arrivés, ils sont dispatchés dans les innombrables camps d'entraînement «entre de bonnes mains». Pris en charge — entièrement — par le patron de «Deraâ Libya» (le bouclier de Libye), Wissam Ben Hmid, alias Abou Ali, ils seront soumis à de rudes séances de maniement des armes et de fabrication de bombes, sous la direction d'experts yéménites, notamment. A la fin du stage d'apprentissage qui aura duré normalement entre 15 et 30 jours, bonjour le front, puisque les nouvelles recrues, une fois agressives, iront servir soit en Syrie, soit au Mali, soit en... Tunisie. Les moins brillants d'entre eux joueront... les prolongations, en subissant un cycle supplémentaire de formation. Si l'échec persiste, on se résoudra à leur confier des tâches «administratives» routinières, par crainte de les voir prendre la poudre d'escampette, le mot «repenti» étant évidemment redouté et abhorré par les réseaux terroristes. Surgit maintenant la question la plus terrible : combien de jihadistes tunisiens formés en Libye rentreront, un jour, au bercail pour... nuire à leur pays ? Pour une source sécuritaire bien informée, «il est archifaux de prétendre qu'ils sont cinq à dix mille à avoir l'intention de venir perpétrer des attentats dans nos murs. C'est que leur nombre échappe encore à tout recensement officiel, en dépit des échanges d'informations continus avec nos frères libyens et du travail de sape que déploient les services de renseignements occidentaux dans ce pays». En attendant, nul ne sait ce que prépare Abou Iyadh en ce moment en Libye qui est devenu sa base arrière, après avoir perdu ses assises, jusqu'ici sûres, en Algérie.