Par Abdelhamid Gmati La présidence de la République, le gouvernement, les forces de l'ordre et certaines organisations comme l'Utica ont lancé des appels invitant les citoyens tunisiens à «collaborer et à soutenir les appareils sécuritaires dans leurs efforts pour contrer la menace terroriste». Cet «appel à la Nation» s'imposait, car il y a péril en la demeure. L'opposition, le pouvoir, la population dans toutes ses composantes doivent unir leurs efforts pour éradiquer ce terrorisme qui, depuis deux ans, s'est installé dans notre pays faisant régulièrement des victimes parmi nos agents de la Garde national, nos policiers, nos soldats. Il n'est plus question d'être spectateur, neutre et en dehors de l'arène. Nous sommes tous concernés mais il ne faut surtout pas céder à la panique. Cet appel à « rapporter tout événement suspect et à donner toute information pour atteindre une efficacité maximale dans la lutte contre le terrorisme » est de nature à aider les forces de l'ordre, mais il peut mener à quelques désagréments. Ainsi, les quelques alertes à la bombe se sont avérées sans fondement ; comme à La Marsa ou à Sfax. Un minimum de prudence est de mise. Et la prise de conscience du danger est salutaire. Ainsi en a-t-il été de la manifestation improvisée des agents de la Gardes nationale à El Aouina, lorsqu'ils ont clamé le fameux «Dégage» aux trois présidents venus en retard à la cérémonie et considérés comme responsables de l'installation des terroristes sur notre territoire par la faute de leur laxisme, voire leur indifférence (certains parlent même d'indifférence complice). C'était grave, certes, mais compréhensible de la part de personnes lancées au front sans moyens adéquats et sans précautions, payant ainsi un lourd tribut en vies humaines. Que leur a-t-on répondu ? Des menaces et des accusations de « faire de la politique». Le ministère de l'Intérieur et certains gouvernants ont commencé ; l'ex-Premier ministre, Hamadi Jebali, renaissant de ses cendres, est lui aussi monté au créneau pour menacer et accuser les syndicats de « politiser leur action». Cette accusation de politiser les choses n'est pas nouvelle et est jetée à la face de tout syndicat, de toute organisation, de tout individu qui ose critiquer ou dénoncer une action gouvernementale. Est-ce un péché de «faire de la politique» ? Les syndicats sont des organisations qui défendent les intérêts de leurs affiliés, ceux des salariés ou des employeurs. Est-ce à dire qu'en tant que corps constitué, ils n'ont pas le droit de participer à la vie politique pour défendre leurs intérêts particuliers ? Ne peuvent-ils pas avoir à avancer des propositions ou à s'opposer à des choix des dirigeants patronaux ou politiques ? C'est cela faire de la politique. Ceci est d'autant plus vrai dans notre pays, où grâce à la Révolution, le peuple cultive l'espoir d'une démocratie où tout le monde participe à la vie publique. Les manifestants et les grévistes ont des revendications particulières dont la satisfaction est tributaire d'un changement des orientations politiques qui avaient cours sous l'ancien régime. Cela aussi, c'est faire de la politique. L'Ugtt ou l'Utica ne peuvent pas défendre leurs adhérents sans s'intéresser et chercher à influer sur la politique gouvernementale. Le Quartet qui a initié le Dialogue national, est formé de quatre organisations non politiques mais ne pouvait rester indifférent à la crise politique du pays. Certes, il y a un distinguo à faire : il y a la politique à visée nationale et il y a la politique politicienne. La première défend les intérêts nationaux de toute la population. La seconde sert des intérêts particuliers, étroits, généralement ceux d'un mouvement, ou d'un parti. Parmi les médias, qui sont aussi régulièrement accusés de faire de la politique, dès qu'ils donnent des informations qu'on veut cacher, il y a ceux qui ont choisi d'être organe ou porte-parole d'un parti ou d'un mouvement. Il y en a une dizaine carrément et publiquement au service des islamistes au pouvoir. Les autres qui ont choisi chacun une ligne éditoriale propre ont opté pour des valeurs et une certaine orientation politique qui, à leurs yeux, est au service des intérêts nationaux. Il n'existe pas de média neutre ni de journaliste neutre. Il est vrai que, parfois, ils penchent pour telle ou telle position politique proche d'un parti ou d'un autre, mais est ce un crime ? On a reproché à certains d'avoir appelé à des manifestations ; mais pouvaient-ils rester indifférents à la situation dramatique que traverse leur pays ? A circonstance exceptionnelle, il y a aussi des comportements exceptionnels. Il est bon toutefois, comme l'ont fait le Syndicat des journalistes et la Haica, de rappeler à l'ordre et à la mesure. Et puisqu'on parle de politique, le gouvernement n'en fait-il pas ? Ce qui est normal, mais laquelle ? Les nominations partisanes qu'il multiplie ne sont-elles pas de la politique politicienne ? Celle qu'il reproche aux autres. Les tergiversations, les volte-face et les mensonges ne servent pas le pays, seulement les partis au pouvoir. Il faudrait imaginer d'autres arguments plus crédibles, plus défendables pour faire taire les opposants et les contradicteurs. En attendant, arrêtons cette hypocrisie et faisons tous de la politique, c'est légitime.