Les policiers exigent la suspension des responsables incompétents dans quarante-huit heures Le bras de fer opposant les forces de sécurité au gouvernement Laârayedh semble avoir atteint le point de non-retour. L'ultimatum lancé par le syndicat des forces de l'ordre pour l'éviction des responsables nommés dernièrement à certains postes clés au sein du ministère de l'Intérieur, la décision de poursuivre en justice le chef du gouvernement et la réaffirmation du soutien des mouvements populaires de protestation ont-ils sonné la rupture entre la police et le gouvernement ? En plus clair, les policiers ont-ils décidé de ne plus appliquer les décisions de leurs chefs, qu'ils considèrent comme incompétents ? Plus encore, la Tunisie risque-t-elle de se retrouver sans police au cas où ses forces de l'ordre persisteraient dans leurs positions et mettraient à exécution leurs déclarations, et n'en feraient qu'à leur tête en matière de sécurité, plus particulièrement de lutte contre le spectre terroriste ? Ces interrogations et tant d'autres s'installent dans les esprits des Tunisiens à un moment où le pays se retrouve avec un gouvernement qui en a encore pour moins de trois semaines et qui se trouve, de par sa transformation en un gouvernement de gestion des affaires courantes, dans l'incapacité de prendre les grandes décisions, alors que les terroristes frappent aux portes de la capitale. Priorité à l'apaisement «Tout en reconnaissant la légitimité des revendications matérielles des forces de l'ordre et tout en reconnaissant également la situation de désarroi dans laquelle elles se trouvent depuis les événements tragiques de Goubellat et Sidi Ali Ben Aoun, on ne peut accepter cette logique de menaces, d'ultimatums et de quasi-rébellion», estime Abdelwaheb Héni, président du parti Al Majd. «Ces propos ne m'empêchent pas, ajoute-t-il, de dire qu'il faut s'asseoir au tour de la table du dialogue et trouver les solutions qui permettent de protéger les agents de l'ordre lors de l'accomplissement de leurs fonctions. J'appelle également les hommes politiques, plus particulièrement ceux de la Troïka, à tempérer leurs déclarations pour ne pas envenimer davantage la situation. De leur côté, les syndicats de la police sont appelés à l'apaisement». «Pour moi, le risque est réel que le pays se retrouve sans police ou avec une police qui refuse les ordres. Cette situation est très dangereuse dans cette phase de passation du pouvoir par Ali Laârayedh au futur gouvernement. Je pense qu'il est urgent d'éviter cette rupture annoncée entre l'Etat et sa police. La priorité d'aujourd'hui est d'éviter le laxisme mais aussi de faire en sorte que l'Etat policier ne revienne pas», conclut Abdelwaheb Héni. Décisions hasardeuses Fayçal Chérif, analyste militaire et spécialiste des questions de sécurité, aborde la question sous l'angle de la responsabilité : «Si les syndicalistes de la police possèdent tous les éléments prouvant que les responsables désignés sont à l'origine de la perte de vie de nos soldats et des agents de la Garde nationale, ils ont raison de demander leur suspension et leur traduction devant la justice». «Malheureusement, relève-t-il, les mauvaises décisions persistent. En témoigne la toute dernière relative à l'organisation de patrouilles communes (composées de policiers, d'agents de la Garde nationale et de soldats). C'est une décision insensée puisque la lutte contre le terrorisme est avant tout une affaire de collecte d'informations et non de présence sur le terrain. C'est pourquoi je ne me lasserai jamais d'appeler à la création d'une agence de sécurité nationale qui sera indépendante politiquement et responsable devant le Parlement. Il est affligeant de constater qu'avec les décisions hasardeuses, on continue à envoyer les gens à la mort gratuitement». Quel rôle pour la société civile ? «Quand on désigne des incompétents à des postes de direction, on doit s'attendre à la situation chaotique qui prévaut actuellement au ministère de l'Intérieur. Il n'y a plus de hiérarchie au sein de la grande bâtisse grise de l'avenue Bourguiba. Chacun en fait à sa tête et il est normal que l'on assiste à ce semblant de rébellion de la police», commente Néji Jalloul, historien et membre actif de la société civile. «La police a le sentiment, légitime et compréhensible, qu'elle est mal protégée et même livrée à l'inconnu par ce gouvernement qui n'écoute personne, surtout les expérimentés en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme, alors pourquoi voulez-vous que les policiers s'exposent à une mort certaine. Leur comportement est un cri contre l'injustice dont ils sont l'objet et contre l'indifférence que manifeste le gouvernement à leur situation. En définitive, ils ont raison de refuser de porter le chapeau et de payer le prix fort comme ce fut le cas lors de la révolution», commente-t-il. Maintenant qu'il n'y a plus de confiance entre le gouvernement et la police, que faut-il faire pour que la situation ne pourrisse pas davantage ? Néji Jalloul est convaincu que «c'est à la société civile que revient la responsabilité de jouer le rôle de l'intermédiaire dans le but d'apaiser les tensions et de dissiper les incompréhensions. Personne n'a, en effet, intérêt à ce que la rupture soit consommée. Tout simplement parce que le pourrissement ne peut profiter qu'aux terroristes».