Par Hmida Ben ROMDHANE L'accord signé entre l'Iran et les 5+1 à Genève le week-end dernier est annonciateur d'une transformation substantielle dans la nature des relations qui lient les Etats-Unis à l'Arabie Saoudite d'une part et à Israël de l'autre. Pendant des décennies, ces deux pays ont bénéficié d'une grande influence à Washington dans le sens de la détermination de la politique étrangère américaine dans la région Golfe-Moyen-Orient. Le premier, parce qu'il est un producteur massif de pétrole, un produit hautement stratégique pour l'économie américaine ; et Israël, parce qu'il bénéficie de la loyauté et du soutien inconditionnel d'une élite américaine de confession juive très influente dans le domaine des médias et dans le monde des affaires. Pendant des années, l'Arabie Saoudite et Israël, dont l'unique et important intérêt commun est de maintenir l'Iran isolé et affaibli, ont réussi à interdire si l'on peut dire toute ouverture américaine envers l'Iran et toute réconciliation entre Washington et Téhéran, dont la brouille consécutive à la révolution khomeyniste de 1979, date maintenant de plus d'un tiers de siècle. Ces deux alliés stratégiques de la puissance américaine ont tout tenté pour empêcher la conclusion d'un tel accord. En vain. Netanyahu, quand il s'est convaincu de la détermination américaine de signer l'accord, est allé jusqu'à Moscou pour supplier Poutine de bloquer l'accord. Il est rentré bredouille, mais par cette bêtise politique, il n'a réussi qu'à se faire détester encore plus à la Maison-Blanche. Aujourd'hui, une panique parfaitement compréhensible sévit à Tel-Aviv et à Ryadh, et l'explication est simple : aussi bien l'Arabie Saoudite qu'Israël ont bâti leur sécurité nationale non pas sur leurs propres forces, mais sur leur capacité d'influencer la politique américaine dans la région. Le fait que ni l'un ni l'autre ne peuvent plus maintenant dicter, comme ils le faisaient avant, la politique moyen-orientale des Etats-Unis, est ressenti à Israël comme à Ryadh comme une grave menace pour leur sécurité nationale. D'où leur panique. Cela ne veut pas dire pour autant que Washington n'est plus concerné par la sécurité de l'Arabie Saoudite et d'Israël. Mais cette préoccupation ne prend plus en compte exclusivement les intérêts des alliés, mais ceux aussi du protecteur. Il y a comme une prise de conscience à Washington que trop c'est trop, et qu'il est temps que la diplomatie américaine moyen-orientale, enserrée pendant longtemps dans le carcan israélo-saoudien, retrouve une certaine marge de liberté et que le sort de ses relations avec l'Iran ou la Syrie se décident à Washington et non plus à Tel-Aviv et Ryadh. Nul ne pense que si aujourd'hui l'Arabie Saoudite et Israël se trouvent sous une grave menace pour leur sécurité, les Etats-Unis regarderont ailleurs. Ils voleront à leur secours c'est certain. Mais cet engagement n'interdit plus désormais des relations normales et même de bonnes relations avec des pays ou des mouvements que les Saoudiens et les Israéliens considèrent comme leurs ennemis. Les deux protégés américains de la région Golfe-Moyen-Orient n'ont guère le choix que de s'habituer à cette nouvelle orientation de Washington et de se contenter d'une protection américaine de leur sécurité nationale si elle est mise en grave danger, sans chercher à imposer à une superpuissance sa politique dans telle ou telle région du monde ou avec tel ou tel pays. Il est certain que l'Arabie Saoudite et Israël désirent ardemment, et ils ne le cachent pas d'ailleurs, que dans les six mois qui viennent, et avant que les négociations pour un accord final irano-occidental commencent, quelque événement inattendu vienne perturber à nouveau cette éclaircie qui se développe entre Washington et Téhéran. Mais ce ne sont là que des vœux pieux qu'inspire la frustration d'un puissant qui vient soudain de perdre sa puissance. La conclusion d'un accord final, prévue dans six mois, dépend dans une large mesure de l'Iran. Si ce pays joue carte sur table, l'accord aura lieu. S'il cherche à tricher, il fera le jeu d'Israël et de l'Arabie Saoudite. Concrètement, l'Iran, même s'il est le plus grand bénéficiaire de la chute du régime de Saddam Hussein, est traumatisé par la manière dont cette chute s'est déroulée. Surtout qu'il aurait été la prochaine cible américaine, si la résistance irakienne ne s'était pas déclenchée. La tentative de se doter de l'arme nucléaire traduit ni plus ni moins le désir de survie du régime islamique. Maintenant, la République islamique iranienne a un meilleur moyen de survivre : améliorer ses relations avec l'Occident, et en particulier avec les Etats-Unis. Ceux-ci sont prêts à cette amélioration pour deux raisons. La première est que Washington est convaincu que le régime iranien n'est pas aussi impopulaire que ça, et la preuve réside dans sa capacité à s'adapter aux sanctions contraignantes et la facilité avec laquelle les émeutes de 2009 ont été matées. La deuxième raison est que les expériences désastreuses d'Afghanistan et d'Irak ont épuisé les Etats-Unis et les ont rendus réticents à s'engager dans des aventures militaires dont l'issue est incertaine. Depuis plus d'un tiers de siècle, les conditions de réconciliation irano-américaine n'ont jamais été aussi favorables. La sécurité et la survie du régime iranien dépendent non pas de l'acquisition de l'arme atomique, source d'ennuis et d'instabilité, mais de la coopération économique et énergétique avec l'Occident. Toute tentative de tricher ferait de l'Iran l'ennemi de tous et ferait le jeu d'Israël et de l'Arabie Saoudite qui prient jour et nuit pour que, dans les six mois qui viennent, l'Iran commette le faux pas qui lui sera fatal.