Par Hmida Ben Romdhane Décidément, l'hôtel Intercontinental de Genève n'est pas l'endroit le mieux indiqué pour la réussite de négociations ardues dont dépend le sort de millions d'êtres humains. Le 9 janvier 1991, les négociations de «la dernière chance» avaient été engagées entre le ministre irakien des Affaires étrangères Tarak Aziz et le secrétaire d'Etat américain James Baker pour tenter de trouver un accord et éviter la guerre. Echec des négociations et, sept jours plus tard, plus exactement le 16 janvier, les Etats-Unis s'engageaient dans leur première guerre contre l'Irak. Jeudi dernier, dans ce même hôtel genevois, des négociations d'une extrême importance pour la paix au Moyen-Orient ont été entreprises entre l'Iran d'une part et les 5+1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU plus l'Allemagne) d'autre part. Les négociations ont bien démarré, l'optimisme était de rigueur et le secrétaire d'Etat John Kerry a même interrompu sa tournée au Moyen-Orient et s'est envolé pour Genève avec l'idée grisante d'annoncer au monde un accord historique avec l'Iran et la fin de la brouille irano-américaine qui dure depuis plus d'un tiers de siècle. Mais, pour paraphraser Pascal, bonne nouvelle au-delà des Pyrénées, mauvaise nouvelle en deçà. Israéliens et Saoudiens étaient catastrophés par le bon déroulement des négociations et à peine Kerry était-il arrivé à Genève que Netanyahu survolait déjà l'Atlantique, direction la Maison-Blanche pour y faire sa crise habituelle et, comme d'habitude, mettre Obama sur ses nerfs. Le coup qui a déraillé ces négociations prometteuses est venu de là où on ne l'attendais pas. C'est la France qui s'est chargée de faire échouer un accord qui était pourtant à portée de main. L'action française de dérailler des négociations qui évoluaient dans la bonne direction était préméditée. Après 60 heures de négociations dans une ambiance portée plutôt sur l'optimisme, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, sort sa demande de «changement de dernière seconde» au projet d'accord irano-occidental. Le coup dur à ce projet d'accord a été asséné dans la chambre de John Kerry de l'hôtel Intercontinental par Laurent Fabius. Celui-ci a mis devant son collègue américain ses propositions de changement consistant en trois points : 1- supprimer du projet d'accord la clause garantissant le droit de l'Iran à l'enrichissement de l'uranium à des fins civiles ; 2- l'Iran doit abandonner les travaux de construction du réacteur d'Arak ; 3- Le gros des sanctions doit rester en place et seule une infime partie de ces sanctions doit être abandonnée. Ces idées géniales que la France a eues à la «dernière seconde» visent soit à mettre l'Iran à genoux et l'obliger à agiter le drapeau blanc, soit, dans le cas où l'Iran refuserait la reddition, à torpiller les négociations. Laurent Fabius n'étant pas un novice (il mène depuis 40 ans une brillante carrière politique), et sachant pertinemment que l'Iran n'accepterait jamais de telles conditions humiliantes, ses exigences mises sur la table à quelques minutes de la signature de l'accord ne visent donc qu'à torpiller les négociations. La question est de savoir quel intérêt a la France de faire échouer ces négociations et d'entretenir l'état de dangereuse tension qui règne dans le Golfe depuis des années ? En toute objectivité aucun. Alors, une autre question s'impose : pour qui roule la France ? La réponse à cette question nécessite une réponse à une autre question : quelles sont les parties qui ont d'évidents intérêts à voir les négociations irano-occidentales échouer ? Israël, l'Arabie Saoudite et les «faucons» du Congrès américains. Si l'Arabie saoudite et Israël se sont délectés en silence de cet échec sans embarrasser la France par des remerciements, ce n'est pas le cas des «faucons» du Congrès. Le plus anti-iranien du Sénat, Lindsay Graham, a exprimé clairement et directement sa joie sur CNN en ces termes : «Les Français sont en train de devenir de très bons leaders au Moyen-Orient. Merci la France». Quant à son compère John McCain, tout aussi anti-iranien, il s'est contenté d'un tweet : «La France a eu le courage d'empêcher la conclusion d'un mauvais accord nucléaire. Vive la France.» Pour comprendre les motivations de la France, il faut avoir présent à l'esprit que le Parti socialiste français au pouvoir et notamment certaines personnalités influentes dont L. Fabius, n'ont jamais caché leur alignement quasi-inconditionnel sur les positions israéliennes, qu'il s'agisse de la question palestinienne ou du contentieux avec l'Iran. De plus, le président Hollande se rend dans les jours qui viennent en visite officielle en Israël et le «coup de Fabius» contribuera sans nul doute à en faire un grand succès. Autre motivation : la France partage avec l'Arabie Saoudite une déception amère suite au changement d'attitude des Etats-Unis vis-à-vis de la Syrie consistant à opter pour la diplomatie plutôt que pour la guerre. Washington opte encore une fois pour la paix avec un pays que la patrie des droits de l'Homme ne porte pas dans son cœur ? C'est visiblement trop et il faudrait mettre le holà. Une dernière précision. La France a accru récemment et notablement ses ventes d'armes à l'Arabie Saoudite et, en août dernier, un contrat de vente d'armes françaises à Ryadh d'une valeur de 1,34 milliard de dollars a été signé. Une belle somme pour la France en ces temps de vaches maigres.