Magistrat au Tribunal administratif de Tunis, Ahmed Souab nous explique à quel point le décret sur la reconstitution du parcours professionnel du 13 décembre 2012 « renferme des niches d'illégalités ». Ces promotions en termes de grades sont-elles conformes à la loi ? Le principe de la légalité suppose que les actes administratifs, y compris ceux du chef de l'Etat et du chef du gouvernement, soient conformes à la loi. Je pense, a priori, que les promotions en termes de grades renferment des niches d'illégalités. Ces promotions se sont basées sur un décret d'application d'un décret-loi portant sur l'amnistie générale datant de février 2011. La règle voulant qu'une loi ne peut jamais être rétroactive (sauf en cas d'énonciation dans le texte), le décret-loi ne se prononce aucunement sur la rétroactivité des promotions. D'autre part, ce décret viole la loi sur la fonction publique de l'année 1982 et la loi sur les agents et offices des entreprises publiques de l'année 1985, qui stipulent que l'amnistie générale n'entraîne que la récupération de l'ancienne fonction. Vous affirmez également que ces promotions transgressent le principe de l'égalité dans la fonction publique... En effet. Je connais bien la maison, je suis moi-même énarque et exerçant dans la fonction publique. Dans ce secteur, le passage d'un grade à l'autre n'est pas mécanique. Il se fait par le recours aux concours, mais aussi grâce à l'assiduité, la compétence, l'ancienneté effective et l'évolution du rendement. Les collègues des amnistiés bénéficiant de reconstitution de leur carrière ne peuvent espérer qu'en moyenne deux à trois grades le long d'un parcours professionnel de trente ans. Or, l'application du décret sur la réintégration des anciens prisonniers politiques bouleverse tout. Elle stipule que si l'amnistié est révoqué il y a six ans, il bénéficie d'un grade et deux à trois grades s'il a été renvoyé de son poste pendant plus de 11 ans. Mais ces personnes qui ont été longtemps martyrisées par le système Ben Ali n'ont-elles pas le droit de récupérer des avantages perdus ? Ces personnes ont droit à toutes sortes de réparations, notamment dans le cadre de la loi sur la justice transitionnelle. Mais on ne peut pas réparer un dommage par un autre qui lui est supérieur. Car lorsqu'un amnistié se voit recruté pour une haute fonction alors qu'il est coupé de la réalité administrative depuis des années, cela peut entamer le climat social dans une entreprise de l'Etat et ébranler l'efficacité du service public.